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Le viol et autres violences sexuelles en temps de guerre

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Le viol et autres violences sexuelles en temps de guerre comme violations des droits fondamentaux des femmes

Violence à l'égard des femmes : une réalité universelle

Parler du viol et des violences sexuelles dans les conflits armés nous oblige, une fois de plus, à constater la position d'infériorité qu'occupent les femmes dans toutes les sociétés, à des degrés divers bien sûr. Nulle part dans le monde, ainsi que le notait dans son rapport en 1995, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), les femmes n'ont les mêmes chances que les hommes, nulle part donc elles ne sont les égales des hommes. La Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, adoptée en 1993 par l'Assemblée générale de l'ONU, note bien, d'ailleurs, dans son préambule « que la violence à l'égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination exercées par les premiers et freiné la promotion des secondes et [qu'] elle compte parmi les principaux mécanismes sociaux auxquels est due la subordination des femmes aux hommes ». (6e paragraphe du préambule). Cette déclaration définit les différentes formes de violence à l'égard des femmes qui s'exercent au sein de la famille, au sein de la collectivité et qui sont tolérées ou perpétrées par les États. Cette violence est spécifique en ce sens qu'elle est infligée aux femmes parce qu'elles sont des femmes. Dans toutes les sociétés, elle est banalisée, relativisée, marginalisée. Les violences faites aux femmes en période de conflits armés, internationaux ou non, ne sont qu'une extension, une intensification, une massification en quelque sorte des différentes formes de violence que subissent les femmes dans les différentes sphères de la vie à l'intérieur de leurs collectivités.

La reconnaissance des droits fondamentaux des femmes : une longue lutte des mouvements de femmes

Nous avons célébré, il y a quelques années, le 50e Anniversaire de la Déclaration des droits de l'Homme dont un article proclame l'égalité des droits des hommes et des femmes. Ce n'est pourtant qu'en 1979 que fut adoptée la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes que l'on peut considérer comme le principal instrument international visant spécifiquement l'atteinte de l'égalité entre les femmes et les hommes. Et ce n'est qu'en 1993, lors de la Conférence mondiale sur les droits de l'Homme à Vienne, que les droits fondamentaux des femmes ont été explicitement ou officiellement reconnus comme indissociables des droits universels de la personne. Voici, à cet égard, l'énoncé du paragraphe 18 (section I) de la Déclaration du Programme d'action de Vienne :

Les droits fondamentaux des femmes et des fillettes font inaliénablement, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne. L'égale et pleine participation des femmes à la vie politique, civile, économique, sociale et culturelle, aux niveaux national, régional et international, et l'élimination totale de toutes les formes de discrimination fondées sur le sexe sont des objectifs prioritaires de la communauté internationale.

Rappelons qu'avant cette Conférence une pétition avait circulé à travers le monde demandant cette reconnaissance des droits fondamentaux des femmes. Notons également que Vienne a été précédée de trois Conférences mondiales sur les femmes : Mexico en 1975, Copenhague en 1980 et Naïrobi en 1985. La quatrième, on s'en souvient, a eu lieu à Beijing (Chine) en 1995. Cela montre bien que l'inscription des droits fondamentaux des femmes dans les instruments internationaux a été le résultat de la vigilance et du travail acharné, pendant plusieurs années, de nombreux groupes de femmes à travers le monde.

La Déclaration et le Programme d'action de Vienne affirment également que :

« Les violations des droits fondamentaux des femmes dans les situations de conflit armé contreviennent aux principes fondateurs des droits de la personne humaine et du droit humanitaire internationalement reconnus. Toutes les violations de cette nature, y compris et en particulier le meurtre, le viol systématique, l'esclavage sexuel et la grossesse forcée, exigent des mesures particulièrement efficaces. »

Cette reconnaissance formelle ne saurait nous faire oublier, cependant, et le cas des violences sexuelles à l'égard des femmes en période de conflit armé nous le rappelle, qu'il existe un large fossé entre l'affirmation des droits et la volonté politique de les faire respecter de même qu'entre le contenu des instruments internationaux (normes) et celui des législations nationales.

Les violences sexuelles infligées aux femmes en temps de guerre : l'ampleur et la pérennité du phénomène

On peut affirmer, d'entrée de jeu, que les violences sexuelles que subissent les femmes en temps de guerre représentent une des expressions les plus brutales du patriarcat, de sa logique guerrière comme de la haine et du mépris qu'il entretient envers les femmes.

Dans son magistral ouvrage sur le viol, Susan Brownmillerconsacre un long chapitre au viol en temps de guerre. Les documents consultés et les témoignages recueillis montrent l'ampleur insoupçonnée de cette réalité que l'histoire - et surtout ceux qui l'écrivent - a tue ou occultée. Depuis l'Antiquité grecque et romaine, le viol des femmes fait partie intégrante de la guerre. La femme est ainsi considérée comme « champ de bataille », « repos du guerrier » « butin de guerre », « monnaie d'échange » etc. Dans tous les cas elle est ravalée au rang d'objet pour l'homme ou de propriété de l'homme et le viol est utilisé soit pour humilier, déshonorer ou démoraliser l'ennemi, soit comme moyen de propagande militaire, ou soit, plus récemment, comme politique délibérée de nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine, comme acte de génocide au Rwanda, comme terreur politique en Haïti, ou enfin comme symbole de victoire.

Brownmiller, S., Le viol, traduit de l'américan par Anne Villelaur, Paris, éd. Stock, 1976.

Quelques exemples de violences sexuelles

Dans son Rapport final sur le viol systématique, l'esclavage sexuel et les pratiques analogues à l'esclavage en période de conflit armé (1998), Madame Gay J. McDougall relève que « entre 1932 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Gouvernement japonais et l'Armée impériale japonaise ont contraint quelque 200 000 femmes à l'esclavage sexuel dans des centres de viol à travers toute l'Asie. Par un euphémisme hautement contestable, ces centres de viol ont souvent été baptisés « centres de délassement ». La plupart des « femmes de réconfort » étaient originaires de Corée mais beaucoup avaient aussi été amenées de Chine, d'Indonésie, des Philippines et d'autres pays asiatiques sous domination japonaise ». (p. 43).

Pendant l'invasion du Bangladesh par le Pakistan occidental en 1971, de 200 à 300 mille femmes et filles ont été violées par des soldats pakistanais. Et Susan Brownmiller souligne que ce viol de masse n'est pas un cas unique. Le « nombre de viols per capita pendant les neuf mois d'occupation du Bengladesh n'a pas été supérieur à celui du viol pendant un mois d'occupation de la ville de Nankin (Chine) en 1937, pas supérieur à celui per capita du viol en Belgique et en France quand l'armée allemande avançait sans rencontrer de résistance durant les trois premiers mois de la Première Guerre mondiale, pas supérieur au viol des femmes dans tous les villages de Russie soviétique au cours de la Seconde Guerre mondiale » (p. 106-107). Ajoutons à cela les viols des femmes par les soldats américains lors de l'attaque de My Lai au Vietnam en 1968, les bordels militaires au Vietnam et plus récemment les camps de viol en ex-Yougoslavie ainsi que les viols collectifs pratiqués au Rwanda. D'autres exemples encore sont mentionnés dans : The Global Report on Women's Human Rights et dans le rapport préliminaire soumis par le Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes (NewYork : Publications des Nations Unies, 1994) E/CN.4.1995/42.

Plusieurs viols ont eut lieu dans des guerres internes, comme ce fut le cas notamment lors du renversement du Gouvernement du président Aristide en Haïti, au Pérou dans le conflit opposant le Gouvernement et les rebelles du Sentier Lumineux, en Algérie, au Myanmar, en Ouganda, dans le sud du Soudan, en Birmanie, etc.

Les violences sexuelles  envers les femmes : les crimes les plus répandus et les moins punis

Le viol et les autres violences sexuelles à l'égard des femmes constituent à la fois les crimes les plus répandus et les moins punis, même s'il y avait place à porter de telles accusations à partir des instruments existants qui définissent les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, le crime de génocide, le crime de torture et celui d'esclavage.

La Conférence mondiale sur les droits de l'homme (Vienne 1993) affirmait que les violations des droits fondamentaux des femmes dans les situations de conflit armé exigeaient des mesures particulièrement efficaces. Pour cela, il faut que les actes de violence sexuelle et d'esclavage aient été mis au jour, que leurs auteurs aient été traduits en justice, que les victimes aient obtenu réparation et que ces actes soient convenablement définis au niveau international en tant que crimes d'esclavage, crimes contre l'humanité, actes de génocide, violations des conventions de Genève, crimes de guerre ou actes de torture, note la Rapporteuse spéciale, Madame Gay J. McDougall. La prise en compte de tous ces facteurs ne va pas de soi étant donné, comme le rappelle encore cette dernière à la suite de nombreux commentateurs juridiques, que « le droit international, y compris le droit international humanitaire, le droit international relatif aux droits de l'homme et le droit pénal international, se développe selon des critères représentatifs de la vie des personnes de sexe masculin évoluant dans la sphère publique en particulier. Le fait de ne pas prendre en considération l'expérience des femmes donne un cadre juridique des droits de l'homme qui ne considère pas la violence contre les femmes comme étant digne de mettre en jeu la responsabilité des États au niveau international » (p.6).

Un point tournant à compter des années 1993-1994

Il a fallu attendre 1993 et 1994 pour que soient réellement jugés des crimes de viol et d'autres formes de violence sexuelle. Les statuts des deux tribunaux pénaux internationaux mis sur pied pour juger les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda mentionnent spécifiquement le viol dans la définition des crimes contre l'humanité.

Avec la condamnation, à l'automne 1998, de Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre de Taba au Rwanda pour, notamment, violations des droits humains comprenant viol et incitation à des actes de violence sexuelle à grande échelle, c'est la première fois que les violations des droits fondamentaux des femmes entraînent de véritables peines. De plus, tant dans la cause Akayesu que dans celle de Celibici en ex-Yougoslavie, le viol a été reconnu et jugé comme un acte de torture dans le cadre d'une guerre civile. Dans la cause Akayesu le viol a été aussi reconnu et puni comme un acte de génocide. Des organisations de femmes - dont la Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits - ont joué un rôle très important pour que de telles violences perpétrées à l'égard des femmes fassent partie des chefs d'accusation retenus contre les hommes mis en cause. Trois Serbes de Bosnie sont présentement devant le TPIY accusés de viol, de torture et d'esclavage sexuel de femmes musulmanes de Foca en Bosnie en 1992.

Un groupe de femmes, le Caucus en faveur de la justice pour les femmes, a également fait un travail remarquable pour que le projet de statut de la Cour pénale internationale (CPI) adopté à Rome en juillet 1998 intègre la problématique des rapports hommes-femmes et mentionne explicitement les crimes de violence sexuelle comme catégorie distincte de crimes sur lesquels la Cour aura compétence, dont notamment le crime de grossesse forcée. On le sait, cette Cour est maintenant effective puisque 60 États ont ratifié le Traité de Rome, On sait également que les Etats-Unis refusent toujours de ratifier ce traité et s'appliquent à en exclure leurs ressortissants. Le Caucus des femmes a également ait des pressions efficaces pour que des femmes soient élues comme juges à la Cour pénale internationale.

Avant que le vingtième siècle ne s'achève, une nouvelle page a été tournée au sujet des « femmes de réconfort » dont j'ai parlé plus haut. Un tribunal international des femmes sur l'esclavage sexuel (le Tribunal de Tokyo) a été mis sur pied, en décembre 2000, afin de recueillir les témoignages de représentantes de ces 200,000 femmes victimes d'esclavage sexuel pour l'armée impériale japonaise durant la Deuxième guerre mondiale. Ce tribunal a entendu des témoignages de femmes provenant de plusieurs pays asiatiques et a conclu que l'État japonais avait violé plusieurs conventions et normes de droit international et a déclaré coupable l'Empereur Hiroito qui régnait au cours de cette période. Même si le jugement rendu n'avait qu'une valeur symbolique, il aura contribué à définir et à reconnaître le crime d'esclavage sexuel, ce qui n'avait encore jamais été fait. Le jugement a été rendu public à La Haye en décembre 2001. Au lendemain du Tribunal, il y a eu des audiences publiques où des femmes venues du monde entier sont venues faire part de leur expérience plus récente d'esclavage sexuel. Notons, parmi elles, des femmes du Chiapas, de la Colombie, du Guatémala, de l'Algérie, de l'Afghanistan, du Rwanda.

Ces récentes victoires ne sauraient nous faire oublier, cependant, que dans bien des cas les femmes ont peur de témoigner à cause des différentes formes de représailles - dont la mort elle-même - pouvant s'exercer contre elles. Il faut donc mettre en place des mécanismes efficaces de protection des témoins. De plus, punir de tels crimes ne suffit pas. Il faut développer des moyens visant la réparation de ces crimes, notamment l'indemnisation et la réadaptation des victimes. Cela implique que ces dernières puissent avoir recours à des services médicaux, psychologiques ou de défense des droits. Les femmes doivent retrouver leur santé et leur dignité de même que leur place en tant que citoyenne ayant les mêmes droits que les hommes. Sur ce dernier aspect, on ne redira jamais assez l'importance de l'alphabétisation et de l'éducation de même que la mise en place de législations et de mécanismes nationaux favorisant l'égalité entre les sexes.

Les revendications internationales de la Marche mondiale des femmes visant à contrer le développement du capitalisme néolibéral et à éliminer le patriarcat revêtent ici une très grande importance et nous devons contribuer, dans nos propres lieux, à les faire connaître, à les porter et à les défendre. Les formes actuelles de lutte au terrorisme promues par l'administration des Etats-Unis et la logique guerrière qui les sous-tend et les anime représentent une véritable menace pour la sécurité des populations et les droits civils des personnes. La militarisation et la guerre contribuent à l'appauvrissement des populations en plus des violences qu'elles engendrent et perpétuent. Parce qu'elles en sont toujours les premières victimes, les femmes doivent aussi être les premières à les dénoncer et à travailler, en alliance avec d'autres groupes, à les enrayer.

Gisèle Bourret, responsable de la démarche d'orientation à la Fédération des femmes du Québec et militante à la Marche mondiale.

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Last modified 2007-05-11 10:30 AM