Magazine - Femmes turques

Le procès devait avoir lieu le 29 octobre. L'acte d'accusation invoque la conférence de presse comme un acte politique illégal de désobéissance civile sous prétexte qu'aucun permis n'avait été demandé. Nevin Kaplan dit toutefois ne pas craindre son issue. " Nous avons, dans le passé, pris des risques beaucoup plus importants. "

Le 6 octobre, un bus emmenait les militantes de la Marche à Ankara où elles tenaient leur rassemblement national. Le trajet était déjà politique nous dit Nevin Kaplan. L'autobus marquait des arrêts de solidarité en plusieurs endroits, notamment là où les femmes ont subi les tremblements de terre et la violence qui accompagne ce type de catastrophes : harcèlement et abus sexuels en série.

A Düzce, le bus a été arrêté et dans un premier temps les femmes empêchées d'en sortir. Finalement les portes ont été ouvertes et le bus s'est vidé. A peine sorties du bus, les manifestantes ont vu la police charger de nouveau. Pour ralentir le processus des arrestations, les femmes se sont assises, elles souhaitaient simplement ternir leur rencontre avec les femmes réfugiées de Düzce. Cinq femmes ont été emprisonnées, l'une d'entre elle a une jambe sévèrement endommagée.

Dès leur arrestation, elles ont appelé au secours leur organisation à Ankara. Des lettres de protestation contre leur arrestation ont été immédiatement faxés à la police et au ministre des Affaires étrangères. Nevin Kaplan parle à ce sujet d'une grosse mobilisation de soutien. Les femmes ont finalement été relâchées et ont pu rejoindre Ankara. Le rassemblement national a été un grand succès, plus de 3000 femmes étaient présentes à l'action nationale du 8 octobre.

Nevin Kaplan explique l'engagement des femmes turques dans la Marche

Quelques priorités de lutte pour les femmes turques

La Marche mondiale des femmes a été préparée pour démontrer la solidarité entre les femmes du monde mais aussi entre les femmes de Turquie. Elles ont des problèmes communs mais les femmes turques ont aussi des problèmes spécifiques de violence à combattre.

Pour les forces de l'ordre, le viol est pratique courante pour décourager l'opposition politique. Les femmes victimes de violence domestique ne sont protégées ni par la loi, ni par la police.

Il y a un peu plus de trois mois, les femmes ont gagné une lutte : la mise en place d'une loi qui interdit la violence domestique et leur donne le droit de porter plainte auprès de la police mais aussi contre cette même police. Ce n'est qu'un début, une petite victoire à force de résistance et de lutte contre l'oppression clairement institutionnalisée mais il reste à obtenir la mise en application réelle de la loi. En Turquie, les femmes demandent la mise en place de centres pour femmes battues. Il en existe un seul pour le moment et il se situe à Istanbul.

L'Organisation des Nations Unies doit imposer aux États membres l'obligation d'assumer nationalement la protection des femmes victimes de violence domestique qui souhaitent quitter leur foyer. Les Nations Unies devraient avoir le pouvoir de forcer les États membres à signer et à appliquer les conventions internationales qui défendent les droits des femmes.

En Turquie, les femmes ont lancé une campagne de signatures s'adressant au premier ministre et au Président visant l'application de la CEDAW et le retrait des réserves émises lors de la ratification par la Turquie.

Les violences perpétrées contre les femmes en Turquie sont encore largement justifiées par la tradition. Dans les régions rurales, les mariages traditionnels et forcés sont pratiques communément admises. Toute relation sexuelle entreprise avec un homme non accepté par la famille constitue une atteinte à l'honneur de cette même famille qui adopte dès lors des mesures de sanction. La sentence peut aller jusqu'au crime d'honneur. Les atteintes à la liberté des femmes puisent leur légitimation dans les pratiques traditionnelles. Mais les femmes ne veulent plus se soumettre à ces traditions. La virginité imposée, la responsabilité des autres membres de la famille ne vont plus de soi. Elles voudraient pouvoir s'opposer aux volontés familiales, qu'il soit enfin dit que c'est injustice d'en dépendre entièrement. La revendication de démocratie est étroitement liée à celle de la reconnaissance des droits des femmes à l'autonomie.

En Turquie, les traditions ne sont jamais remises en cause, la lutte des femmes consiste essentiellement à inverser cette logique.

Une opportunité d'être solidaires

Nous demandons au FMI et à la Banque mondiale la fin des politiques économiques imposées à la Turquie. Le poids économique de cette politique est porté par les femmes. Elles revendiquent l'égalité économique et plus particulièrement l'égalité salariale y compris dans le secteur public. Mais l'égalité économique ne sera pas atteinte tant que le statut de chef de famille automatiquement attribué aux hommes ne sera pas aboli.