Trafic à des fins de travail forcé en Europe
Au-delà de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, il est absolument nécessaire de mieux appréhender les différentes facettes de la traite des êtres humains en Europe.
L'Albanie, la République de Moldova, la Roumanie et l'Ukraine sont les principaux pays d'origine des victimes de la traite. Dans ces quatre pays, des proportions équivalentes de personnes vivent en dessous du seuil international de la pauvreté. Le besoin de gagner un peu plus d'argent peut avoir des conséquences aussi inattendues que désastreuses, comme l'esclavage sexuel et la traite des êtres humains.
Mais le tiers des victimes sont l'objet d'un trafic à des fins autres que l'exploitation sexuelle.
Une étude allemande, publiée conjointement avec le rapport mondial du BIT sur le travail forcé, décrit 42 cas de travail forcé et fournit notamment des exemples de travail sexuel forcé, d'exploitation de travailleurs domestiques, de travailleurs saisonniers agricoles ou de travailleurs dans le secteur du bâtiment et de la restauration, ou encore dans les métiers forains ou dans l'industrie bouchère. La majorité des cas concernent des travailleurs d'Europe centrale et d'Europe de l'Est, la plupart d'entre eux étant d'origine polonaise.
Dans l'ensemble, les résultats de l'étude allemande ne font état que d'un nombre limité de cas graves d'exploitation, mettant plutôt en relief des formes de coercition qui n'impliquent pas nécessairement la violence ou la contrainte physiques. Alors que plus de la moitié des 827 victimes recensées du travail sexuel forcé ont été exposées à la violence, son usage reste néanmoins une exception dans les autres activités économiques.
Une étude analogue sur la Fédération de Russie montre que la coercition relève davantage de l'expérience professionnelle commune aux migrants que d'une volonté de trafic ou d'une stratégie de recrutement fallacieuse. Les victimes ont tendance à émigrer de manière volontaire. Ce n'est que plus tard, une fois arrivées à destination, que le cercle de la déception se referme sur elles: en premier lieu, elle se voient confisquer leurs papiers d'identité, et leurs salaires ne leur sont pas versés.
Les victimes font ensuite l'objet de coercition, de restriction à leur liberté de mouvement et de sévices. Dans un cas sur cinq, les passeports sont conservés par les employeurs. A Moscou, 18 pour cent des victimes déclarent qu'elles étaient victimes de servitude pour dette: la "dette" envers leurs employeurs étant généralement bien supérieure à un mois de salaire. Seize pour cent des personnes ayant émigré vers la capitale russe ont dit avoir reçu des menaces de représailles au cas où elles tenteraient de quitter leur employeur actuel.
L'étude sur la France concerne les immigrés clandestins chinois. De nombreux migrants ont quitté la Chine en compagnie d'un ami ou d'un proche, qui établit le premier contact avec la «tête du réseau» (snakehead), le convoyeur ou le trafiquant et avance l'argent du voyage. Parfois, les frais augmentent en cours de route et les migrants sont arrêtés en chemin jusqu'à ce qu'ils paient leurs dettes. Une fois arrivés à destination, des journées de 15 heures de travail attendent les migrants, qui sont également fréquemment victimes de contraintes physiques.
Alors que le rapport insiste sur la nécessité d'adopter des législations claires contre le travail forcé, ce phénomène n'est pas considéré comme un fait délictueux par les législations actuelles de plusieurs pays européens. Toutefois, la plupart d'entre eux ont adopté une nouvelle législation pour incriminer le travail forcé ou sont en passe de le faire. La France a adopté en mars 2003 une législation globale contre la traite, quand l'Allemagne introduisait, pour sa part, des amendements au Code pénal visant de façon spécifique les délits de trafic à des fins d'exploitation sexuelle et à des fins d'exploitation économique.
"Une meilleure application de la loi doit toujours faire partie de la réponse à ces cas de trafic. Mais il ne serait pas réaliste de croire que l'application de la loi permette à elle seule de venir à bout des problèmes, un certain nombre de facteurs incitent les producteurs à réduire les coûts au maximum en les répercutant sur le personnel", déclare Roger Plant, auteur du rapport mondial sur le travail forcé.
Conjointement avec d'autres institutions spécialisées, le BIT aide les gouvernements et les partenaires sociaux à élaborer des Plans d'action nationaux contre la traite d'être humains ou à en élargir le champ d'action lorsqu'ils existent, en Albanie, en République de Moldova, en Roumanie et en Ukraine. Une aide est par ailleurs fournie à l'Albanie, à la République de Moldova et à l'Ukraine afin que ces pays adoptent des politiques de "migration sécurisée" et en vue de s'assurer que les plans nationaux en matière d'emploi soient utiles aux victimes actuelles et potentielles de la traite.
Last modified 2005-11-17 04:09 AM