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L’abolition de la prostitution : un choix de société (Québec)

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22 septembre 2006

Ce document est le résultat d’une réflexion menée au sein de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)[1]. Il présente des stratégies et des pistes d’action concrètes pouvant servir de base à une nouvelle politique abolitionniste adaptée au XXIe siècle. Il ne s’agit pas d’un document final, car il est destiné à amorcer une consultation élargie auprès d’autres groupes préoccupés des conséquences de l’expansion massive de la prostitution.

I- Une vision de la prostitution fondée sur les droits humains

Aujourd’hui, les différentes sources internationales évaluent le nombre de victimes de la traite des êtres humains entre 700 000 et 4 millions de personnes[2], incluant surtout des femmes et des fillettes. L’ONUDC[3] estime que 92% des personnes victimes de la traite le sont à des fins de prostitution et que 48% des victimes de cette traite sont des enfants. Ce phénomène alarmant nous interpelle en tant que citoyennes et citoyens engagés pour un monde de justice, d’égalité, de solidarité et de paix.

Loin de considérer la prostitution comme inéluctable, nous croyons qu’un autre monde est possible, un monde libéré de la prostitution et de toutes formes d’exploitation sexuelle[4]. La prostitution est une institution historique d’oppression des femmes. Elle ne peut être réformée pour améliorer les conditions de sa pratique, car il s’agit d’une industrie[5] profondément sexiste et raciste, fondée sur les inégalités entre les hommes et les femmes, entre les ethnies, entre les riches et les pauvres et entre les pays du Nord et du Sud.  L’expansion massive de la prostitution et d’autres formes d’exploitation sexuelle est une conséquence de la pauvreté, des inégalités sociales et du manque de choix dans la vie de toutes les femmes. Par conséquent, il nous faut refuser la légalisation ou la décriminalisation[6] totale de la prostitution, préconisée par un certain courant politique, sous prétexte de pragmatisme. Les études menées dans divers pays ayant opté pour une forme ou une autre de légalisation (Allemagne, Pays-Bas, Australie et d’autres) démontrent que ces politiques ne font qu’aggraver les multiples problèmes liés à la prostitution et à la traite des êtres humains[7].

Nous refusons de considérer la prostitution comme un « travail »[8], encore moins comme une liberté ou un « droit » de disposer de son corps. On ne peut invoquer le consentement individuel pour légaliser ou décriminaliser la prostitution, sans se soucier des impacts sur toute la société, particulièrement sur les rapports hommes-femmes. Cela aurait pour effet d’imposer à l’ensemble de la société de vivre dans un milieu où la prostitution envahit de plus en plus le tissu social. La notion de consentement dans la prostitution n’est donc d’aucune pertinence, sauf pour tenter de la légitimer, comme le font les porte-parole de l’industrie du sexe. Il ne s’agit pas aujourd’hui de s’opposer à la prostitution sur une base moralisatrice, ni de réclamer davantage de répression. À l’instar de la Suède, nous préconisons l’adoption d’une politique globale et cohérente pour y faire face, à partir d’une analyse féministe, fondée sur le respect des droits humains.

La prostitution doit être officiellement reconnue comme un crime contre la personne, une violence contre les femmes et une atteinte à leur droit à l’égalité. La lutte contre la prostitution doit faire partie intégrante de la lutte contre la pauvreté, pour le respect des droits humains et pour l’égalité entre les sexes et entre les peuples.

II- Le contexte canadien

Rappelons que le Code criminel canadien n’interdit pas le fait de se livrer à la prostitution, mais la plupart des actes liés à la prostitution sont interdits par la loi[9]. Selon le code criminel, est passible d’un acte criminel quiconque tient une maison de débauche (art. 210), induit, tente d’induire ou sollicite une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne, soit au Canada, soit à l’étranger (art. 212).  Est coupable d’une infraction punissable quiconque transporte une personne vers une maison de débauche (art. 211), communique ou tente de communiquer avec une personne dans un lieu public à des fins de prostitution (art. 213).

Il est important de souligner que les termes « maisons de débauche » et « rapports sexuels illicites », utilisés dans le Code criminel canadien, reflètent une approche moralisatrice et puritaine, totalement dépassée aujourd’hui. Nous croyons qu’il convient de corriger cette terminologie et d’inscrire dorénavant les lois relatives à la prostitution non plus dans les affaires de mœurs, mais dans le cadre des violences et des crimes contre la personne.

Par ailleurs, le Canada est signataire du Protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des êtres humains. Il est également signataire de la Convention relative aux droits des enfants et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), dont l’article 6 exige « que les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris législative, pour supprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ». De plus, l’article 15 (clause 28) de la Charte canadienne des droits et libertés donne préséance aux droits relatifs à l’égalité entre les sexes sur tous les autres droits.

Le Canada ne peut donc ignorer ses responsabilités et ses engagements internationaux, ni prétendre lutter contre la traite, tout en voulant légaliser ou décriminaliser la prostitution, réclamée par un puissant lobby soutenu par l’industrie du sexe. Au lieu de choisir la voie de la libéralisation de la prostitution, le Canada doit agir, à l’instar de la Suède[10], pour freiner l’expansion du marché de la prostitution et viser son élimination. Pour cela, il ne suffit pas de proposer des amendements au Code criminel. Il nous faut adopter une loi-cadre, s’inscrivant dans une stratégie globale et cohérente, qui reposerait sur quatre axes d’intervention.

III- Une stratégie globale et cohérente :  les quatre axes d’intervention

• Éducation et prévention

• Protection et voies de sortie de la prostitution

• Élimination du proxénétisme

• Responsabilisation et pénalisation des clients prostitueurs

1.     Éducation et prévention

Toute véritable politique de lutte contre la prostitution et la traite des personnes doit remettre en cause le système de représentation sexiste et s’accompagner d’une authentique politique d’éducation sexuelle, fondée sur la promotion de relations respectueuses et égalitaires. La prévention inclut l’éducation aux causes et aux conséquences de la prostitution aux plans individuel et collectif. Il faut en finir avec les légendes et aborder les réalités pénibles trop méconnues de la prostitution, telles qu’elles sont vécues et non telles qu’elles sont mythifiées. Cette éducation doit viser tous les segments de la société, notamment les jeunes et les hommes. Initiatives suggérées:

1.1  Campagne nationale visant les clients prostitueurs[11] et les clients potentiels, tant au niveau de la prostitution au Canada que du tourisme sexuel. Cette campagne pourrait s’inspirer des messages utilisés sur des affiches lors de campagnes similaires menées par d’autres pays : à Madrid, « Parce que tu paies, la prostitution existe, tu participes à l’exploitation et à la traite des êtres humains! »; au Kosovo, « Vous payez pour une nuit, elle paie de sa vie! »; en Lituanie, « C’est honteux d’acheter une femme! Un jour ou l’autre chacun arrivera à cette conclusion. »

1.2  Programme d’éducation et de prévention en direction des femmes et des filles ciblées par l’industrie de la prostitution au Canada, mais aussi dans les pays d’origine et de transit de la traite ainsi que dans les pays de destination du tourisme sexuel.

1.3  Vu que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est d’environ quatorze ans, il est impératif de sensibiliser très tôt les jeunes qui sont susceptibles de devenir de futurEs prostituéEs, mais aussi de futurs clients prostitueurs et proxénètes. L’école doit dispenser des cours d’éducation sexuelle axés sur les rapports égalitaires et qui abordent les conséquences de la prostitution.

1.4  Un financement adéquat doit être assuré aux ONG qui luttent contre la prostitution pour faire ce travail de prévention sur tout le territoire canadien. Parallèlement, le Canada doit soutenir financièrement et donner un appui clair aux ONG  internationales et internes qui combattent la prostitution dans les pays d’origine et de transit de la traite.

2.  Protection et voies de sortie de la prostitution

Au Canada, il existe très peu de services spécifiques aux femmes et aux filles qui désirent quitter la prostitution. Les différents paliers gouvernementaux limitent trop souvent l’intervention sociale à la réduction des méfaits (distribution de seringues neuves et de préservatifs,  lutte contre la nuisance, etc.) mais ne s’attaquent ni à la demande, ni aux causes, ni aux conséquences de la prostitution.

Pour être efficace, une politique de protection et de prévention doit cibler les populations à risque et développer des programmes appropriés permettant de répondre à leurs besoins. Il faut en priorité réviser l’intervention sociale et la formation des intervenants sociaux afin d’adopter une approche holistique, visant à aider les personnes à se libérer de la prostitution et de l’industrie du sexe. Si on est véritablement à l’écoute des femmes prostituées, les priorités d’intervention sociale apparaissent évidentes.[12]

Protection sociale

2.1  Il faut mettre fin immédiatement à la criminalisation sous toutes ses formes, à la répression et à la discrimination des personnes prostituées[13]. Elles ne sont pas des criminelles mais des victimes du système de la prostitution. Toute intervention auprès d’elles doit en être une d’appui et de défense de leurs droits, non de répression ou de stigmatisation.

2.2  Les personnes prostituées doivent avoir accès aux droits universels qui sont liés à la personne et non à un statut. En conséquence, leurs plaintes pour viol, agression et harcèlement sexuel doivent être prises en compte et donner lieu à des poursuites. C’est la condition première pour assurer leur sécurité physique et psychologique.

2.3  L’État doit financer la création de lieux d’écoute, de repos et d’entraide pour les femmes prostituées et mettre en place des services d’accompagnement pour qu’elles puissent prendre en charge tous les aspects de leur santé, à partir d’une intervention féministe.

2.4  Toute personne qui veut quitter la prostitution doit avoir droit à des ressources financières suffisantes, à une formation scolaire ou professionnelle ainsi qu’à l’aide au logement.

2.5  L’État doit doter de ressources additionnelles et suffisantes les centres existants pour femmes victimes de violence, afin qu’ils puissent venir en aide aux victimes de la traite ou de la prostitution et les mettre à l’abri des proxénètes et des filières criminelles. Il doit aussi investir dans la création de nouveaux centres.

2.6  Doivent être mis à contribution les ONG, les regroupements de survivantes[14] de la prostitution, les organisations féministes, les chercheurs travaillant sur le sujet, etc., pour imaginer des moyens efficaces d’aider les personnes prostituées à se réapproprier leur vie. Ce travail d’élaboration aura nécessairement un caractère collectif et multidisciplinaire. Les services doivent être offerts sur une base volontaire, sans contrainte, en respectant les droits, les besoins et les désirs des personnes concernées. Il s’agit de rendre possible leur prise de parole et de les accompagner pour les aider à surmonter l’opprobre du regard social méprisant.

Protection légale et judiciaire

2.7  Les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les administrations municipales doivent rayer de leurs registres toute condamnation antérieure des personnes prostituées relative à une infraction dans ce domaine et détruire leurs casiers judiciaires. Il s’agit d’une condition nécessaire pour permettre aux personnes prostituées d’avoir accès à l’emploi.

2.8   Les personnes d’origine étrangère victimes de la traite qui désirent rester dans le pays, doivent bénéficier d’un statut de résidence permanente, ainsi que l’accès à la formation, à l’emploi et aux services sociaux. Cette mesure répond à une exigence humanitaire et à un souci de justice et de réparation.

2.9   La situation des personnes prostituées nées à l’étranger et sans statut doit être régularisée sans leur imposer des conditions préalables de « coopération/délation » avec la justice. En aucun cas, la victime de la traite ou de la prostitution ne doit être rapatriée de force dans son pays d’origine ou de transit. Le Canada doit lui laisser le choix de rester ou de partir tout en lui garantissant, si elle décide de rester, les mêmes services et les mêmes droits qu’aux autres citoyennes[15].

2.10                     Considérant la prostitution comme un crime contre la personne, les victimes doivent bénéficier d’un programme d’aide et d’indemnisation, comme toute victime d’acte criminel.

2.11                     Il faut réviser la terminologie relative à la prostitution dans le Code criminel pour éviter toute connotation moralisatrice et inscrire la prostitution dans le cadre des violences et des crimes contre la personne, non des affaires de mœurs.

3-      Élimination du proxénétisme

On observe depuis quelques années un laxisme dans l’application des articles du Code criminel relatifs à la prostitution (art. 210 à 213) ainsi que des incohérences avec d’autres lois. À titre d’exemples, nombre d’établissements commerciaux, tels que certains bars de danseuses nues, bars à hôtesses, salons de massage, clubs échangistes, etc., exploitent impunément la prostitution d’autrui ; des municipalités accordent des permis aux agences d’escortes qui sont les points de vente de «services sexuels », et des interrogations en lien avec la traite ont été soulevées lors du scandale récent des visas pour danseuses dites exotiques, accordés surtout à des femmes issues des pays d’Europe de l’Est. Ce glissement rend inopérant les balises prévues par la loi interdisant la traite et l’exploitation de la prostitution d’autrui.

3.1  L’État fédéral, les provinces et les municipalités doivent actualiser leurs législations et s’assurer de la cohérence des lois et de leur application afin de maintenir et de renforcer la criminalisation du proxénétisme sous toutes ses formes. En conséquence, les propriétaires et les gérants des établissements qui tirent profit de la prostitution doivent être accusés de proxénétisme et poursuivis.

3.2  Les municipalités doivent renoncer à accorder des permis d’agence d’escortes et  révoquer ceux qui ont déjà été octroyés.

3.3  L’État fédéral et l’État québécois doivent mettre fin au programme de visas temporaires d’« artiste » destinés à l’industrie du « divertissement masculin » qui est une forme « légale » de la traite des êtres humains.

3.4  Doit être incriminée toute personne ou entreprise qui fait la promotion du tourisme sexuel.

3.5  Doit être poursuivi quiconque fait la promotion de la prostitution d’autrui ou qui en tire des bénéfices, notamment les journaux, les compagnies qui éditent des annuaires de téléphone, les serveurs Internet, et autres qui publient des annonces de prostitution.

3.6  Doivent être poursuivis pour proxénétisme les individus et les compagnies qui transportent des personnes à des fins de prostitution. Présentement, l’article 211 du Code criminel est rarement appliqué.

3.7  Doit être poursuivie pour proxénétisme aggravé, non seulement ceux qui utilisent des mineurs (moins de 18 ans) à des fins de prostitution[16], mais également ceux qui utilisent à cette fin une personne sous leur autorité ou une personne particulièrement vulnérable ou qui ont recours à la coercition et la violence pour obliger une autre personne à se prostituer.

4-      Responsabilisation et pénalisation des clients prostitueurs

Il faut bien reconnaître que la cause principale de la prostitution c’est la « demande »[17] des prostitueurs, c’est-à-dire le « droit » des hommes d’accès au corps des femmes et des filles (tant au niveau national qu’à l’étranger, notamment dans le cas du tourisme sexuel). Sans les prostitueurs, pas de marché de prostitution. Il est temps que les clients prostitueurs deviennent la cible des lois concernant la prostitution puisque, avec les proxénètes, ils sont responsables et créateurs du marché de la prostitution. Les différents paliers gouvernementaux doivent donc s’attaquer à cette « demande ». Dorénavant ce sont les prostitueurs et non les personnes prostituées qui doivent faire face aux conséquences légales de leurs actes.

4.1  Il faut étendre à toute prostitution le principe de pénalisation des prostitueurs qui est d’ores et déjà acquis, mais limité aux mineurs. Au Canada, des lois pénalisent les prostitueurs de mineurs (moins de 18 ans), et des lois extra-territoriales permettent de poursuivre les citoyens qui abusent d’enfants à l’étranger.

4.2  À l’instar de la Suède, le Canada doit adopter une loi claire interdisant la sollicitation et l’achat de «services sexuels »[18], y compris par et pour des tiers. Des pénalités progressives (amendes et possibilité d’emprisonnement), qui intègrent un processus d’éducation et de responsabilisation des clients prostitueurs, doivent être appliquées.

4.3  À l’instar de l’ONU, le Canada doit interdire l’achat de « services sexuels » à son personnel en mission de paix, aux diplomates, aux fonctionnaires canadiens à l’étranger ainsi qu’aux membres des ONG qu’il finance et pénaliser ceux qui transgressent cette interdiction.

4.4  Doivent être poursuivis pour prostitution aggravée non seulement les clients prostitueurs qui utilisent des mineurs (moins de 18 ans), mais également ceux qui utilisent des personnes sous leur autorité, des personnes particulièrement vulnérables et ceux qui ont recours à des formes de coercition ou de violence.

4.5  Un fonds de lutte contre la prostitution doit être constitué à partir des amendes recueillies en lien avec la prostitution et servir à soutenir les organismes qui viennent en aide aux victimes de la prostitution et de la traite pour les aider à s’en sortir.


Annexe 1- Précisions terminologiques

 

Nous le savons, les mots ne sont pas neutres. C’est d’autant plus vrai quand nous abordons un sujet délicat comme la prostitution. Le vocabulaire colore notre perception d’une réalité, notre analyse et, ultimement, nos politiques et nos pratiques. Nous apportons ici quelques précisions terminologiques utiles et soulignons nos réserves à l’endroit de certains termes couramment utilisés.  Lorsque nous ne pouvions faire autrement, nous les avons utilisés en les mettant entre guillemets pour signifier nos réserves.

Le « travail du sexe », « travailleuses du sexe »,  « services sexuels » : Une controverse sérieuse entoure cette terminologie récente, introduite dans les années 1990 par le courant post-moderne, qui conçoit la prostitution non comme une exploitation sexuelle mais comme une activité économique légitime, qui mérite protection du code du travail. Pour les tenants de cette position  inspirée des Pays-Bas, le terme « travail du sexe » englobe la prostitution de rue, les services d’escortes, la danse nue, le massage érotique, le téléphone érotique commercial et la pornographie. Nous considérons que cette terminologie occulte les réalités pénibles de la prostitution et contribue à sa banalisation. Nous préférons donc parler de prostitution.

Concept de « prostitution forcée » : Lors de la 4e conférence internationale des Nations unies sur les femmes, tenue à Beijing en 1995, les Pays-Bas ont réussi à introduire dans les textes officiels un nouveau concept, celui de la  « prostitution forcée », sans rencontrer d’opposition des autres pays. Nous refusons ce concept qui reconnaît implicitement que la prostitution pourrait être une activité « libre », ce qui conduit ensuite à condamner uniquement la prostitution lorsqu’il y a recours à la coercition ou la violence. Voir également dans le texte nos remarques sur la notion de « consentement ». (p.1)

L’exploitation sexuelle : Nous avons précisé le sens que nous donnons à ce terme dans le texte (voir note de page no. 2, page 1). Ce terme est utilisé dans un sens différent par les tenants du « travail du sexe » qui considèrent qu’il n’y a pas d’exploitation lorsqu’il y a consentement. Par conséquent, quand ils dénoncent l’exploitation sexuelle, ils sous-entendent uniquement la prostitution « forcée » ou la traite « forcée ».

« Prostituées » vs. « personnes prostituées » : On parle généralement de prostituée, au féminin, bien qu’il existe de plus en plus de garçons et d’hommes, travestis et transsexuels, qui se prostituent aujourd’hui. Globalement, la très grande majorité des personnes prostituées sont des femmes, des adolescentes et des fillettes (proportion estimée autour de 90%), alors que la plupart des clients sont des hommes (environ 99%), y compris les clients des garçons et des hommes qui se prostituent. Le terme de « prostituée » étant considéré comme une étiquette péjorative, nous préférons parler de femmes ou de personnes prostituées, étant entendue qu’il ne s’agit nullement d’un statut social.

Les « clients »  : Malheureusement, il n’existe pas de terme spécifique aux hommes qui achètent des personnes prostituées. Le terme anodin de « clients » contribue à renforcer l’invisibilité et l’impunité accordée aux hommes qui se donnent le droit d’acheter le corps des femmes. Nous lui préférons le nouveau terme de « prostitueurs » ou « clients prostitueurs » qui met en lumière leur rôle dans le maintien de ce marché.

La « demande » : Comme pour les « clients », ce terme issu du vocabulaire économique tend à occulter le fait que la prostitution est une institution d’oppression des femmes et non une simple transaction économique. Faute de mieux, nous l’utilisons entre guillemet pour parler de ce facteur important qui contribue à l’expansion de la prostitution et de la traite.

« Industrie du sexe » et « marché du sexe »: Certaines personnes hésitent à utiliser ces termes, à cause de leur connotation économique qui semble légitimer les activités qu’ils recouvrent.  Faute de mieux, nous les avons gardés, car ils reflètent le fait que l’exploitation sexuelle se soit largement diversifiée et amplifiée jusqu’à devenir une véritable industrie, souvent intégrée aux économies nationales et qui génère d’énormes profits.

« Légalisation » vs. « décriminalisation » : Ces termes, parfois confondus, ont un sens distinct. La légalisation signifie la réglementation ou la régulation de la prostitution. Ce système se caractérise souvent par l’enregistrement des personnes prostituées au service de police, l’obligation d’exercer leurs activités avec un permis et un contrôle médical obligatoire. La légalisation est contrôlée par l’État, et prend souvent la forme de « bordels » ou « maisons de prostitution » licenciés et de quartiers réservés, dénommés « red light ». La décriminalisation signifie le retrait du Code criminel de tous les articles relatifs à la prostitution. Les proxénètes et les trafiquants sont alors considérés comme des hommes d’affaires honorables.


Annexe 2 – Extraits du Code criminel canadien

 

Tenue d’une maison de débauche

210. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans quiconque tient une maison de débauche.

(2) Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, selon le cas :

a) habite une maison de débauche;

b) est trouvé, sans excuse légitime, dans une maison de débauche;

c) en qualité de propriétaire, locateur, occupant, locataire, agent ou ayant autrement la charge ou le contrôle d'un local, permet sciemment que ce local ou une partie du local soit loué ou employé aux fins de maison de débauche.

(3) Lorsqu'une personne est déclarée coupable d'une infraction visée au paragraphe (1), le tribunal fait signifier un avis de la déclaration de culpabilité au propriétaire ou locateur du lieu à l'égard duquel la personne est déclarée coupable, ou à son agent, et l'avis doit contenir une déclaration portant qu'il est signifié selon le présent article.

(4) Lorsqu'une personne à laquelle un avis est signifié en vertu du paragraphe (3) n'exerce pas immédiatement tout droit qu'elle peut avoir de résilier la location ou de mettre fin au droit d'occupation que possède la personne ainsi déclarée coupable, et que, par la suite, un individu est déclaré coupable d'une infraction visée au paragraphe (1) à l'égard du même local, la personne à qui l'avis a été signifié est censée avoir commis une infraction visée au paragraphe (1), à moins qu'elle ne prouve qu'elle a pris toutes les mesures raisonnables pour empêcher le renouvellement de l'infraction.

Transport de personnes à des maisons de débauche

211. Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, sciemment, mène ou transporte ou offre de mener ou de transporter une autre personne à une maison de débauche, ou dirige ou offre de diriger une autre personne vers une maison de débauche.

Proxénétisme

212. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, selon le cas :

a) induit, tente d'induire ou sollicite une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne, soit au Canada, soit à l'étranger;

b) attire ou entraîne une personne qui n'est pas prostituée vers une maison de débauche aux fins de rapports sexuels illicites ou de prostitution;

c) sciemment cache une personne dans une maison de débauche;

d) induit ou tente d'induire une personne à se prostituer, soit au Canada, soit à l'étranger;

e) induit ou tente d'induire une personne à abandonner son lieu ordinaire de résidence au Canada, lorsque ce lieu n'est pas une maison de débauche, avec l'intention de lui faire habiter une maison de débauche ou pour qu'elle fréquente une maison de débauche, au Canada ou à l'étranger;

f) à l'arrivée d'une personne au Canada, la dirige ou la fait diriger vers une maison de débauche, l'y amène ou l'y fait conduire;

g) induit une personne à venir au Canada ou à quitter le Canada pour se livrer à la prostitution;

h) aux fins de lucre, exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d'une personne de façon à démontrer qu'il l'aide, l'encourage ou la force à s'adonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier ou d'une manière générale;

i) applique ou administre, ou fait prendre, à une personne, toute drogue, liqueur enivrante, matière ou chose, avec l'intention de la stupéfier ou de la subjuguer de manière à permettre à quelqu'un d'avoir avec elle des rapports sexuels illicites;

j) vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d'une autre personne.

(2) Par dérogation à l'alinéa (1)j), est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d'une autre personne âgée de moins de dix-huit ans.

(2.1) Par dérogation à l'alinéa (1)j) et au paragraphe (2), est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement minimal de cinq ans et maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d'une autre personne âgée de moins de dix-huit ans si, à la fois :

a) aux fins de profit, il l'aide, l'encourage ou la force à s'adonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier ou d'une manière générale, ou lui conseille de le faire;

b) il use de violence envers elle, l'intimide ou la contraint, ou tente ou menace de le faire.

(3) Pour l'application de l'alinéa (1)j) et des paragraphes (2) et (2.1), la preuve qu'une personne vit ou se trouve habituellement en compagnie d'un prostitué ou vit dans une maison de débauche constitue, sauf preuve contraire, la preuve qu'elle vit des produits de la prostitution.

(4) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne âgée de moins de dix-huit ans ou communique avec quiconque en vue d'obtenir, moyennant rétribution, de tels services.

(5) [Abrogé, 1999, ch. 5, art. 8]

Infraction se rattachant à la prostitution

213. (1) Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, dans un endroit soit public soit situé à la vue du public et dans le but de se livrer à la prostitution ou de retenir les services sexuels d'une personne qui s'y livre :

a) soit arrête ou tente d'arrêter un véhicule à moteur;

b) soit gêne la circulation des piétons ou des véhicules, ou l'entrée ou la sortie d'un lieu contigu à cet endroit;

c) soit arrête ou tente d'arrêter une personne ou, de quelque manière que ce soit, communique ou tente de communiquer avec elle.

(2) Au présent article, «endroit public» s'entend notamment de tout lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse ou implicite; y est assimilé tout véhicule à moteur situé dans un endroit soit public soit situé à la vue du public.


[1] Fondée à Montréal en mai 2005, la CLES est un regroupement d’organismes et de personnes qui propose une alternative au discours de banalisation et de légitimation de la prostitution que tient l’industrie du sexe. Ce document s’inspire largement du manifeste produit par un des membres de la CLES (Richard Poulin, Abolir la prostitution, manifeste, Montréal, Éditions Sisyphe, 2006).

[2] Les grands écarts entre les estimations de la traite sont liés au système d’évaluation adopté, selon qu’il prend ou non en compte la traite interne et pas seulement transfrontalière, et selon la définition même de la traite limitée (« forcée ») ou élargie (indépendamment du recours à la coercition).

[3] Il s’agit de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

[4] L’exploitation sexuelle se situe dans un continuum qui inclut la prostitution, la pornographie, le mariage forcé, le mariage par correspondance, l’esclavage sexuel, la traite des êtres humains (interne et international) et les agressions sexuelles de toutes sortes. Le sens donné à cette expression ne fait pas l’unanimité. Voir annexe 1, Précisions terminologiques, où nous soulignons nos réserves à l’endroit de certains termes utilisés couramment en lien avec la prostitution. 

[5] Voir annexe 1, Précisions terminologiques.

[6] Voir annexe 1 pour la définition des termes légalisation et décriminalisation qui sont parfois confondus.

[7] Voir Janice Raymond, directrice de CATW, 10 raisons pour ne pas légaliser la prostitution,  http://action.web.ca/home/catw/readingroom.shtml?x=52985&AA_EX_Session=bd8aed3a63fb6bef3912052ae996554c 

[8] Une controverse entoure la nouvelle terminologie « travail du sexe » qui tend à occulter les réalités pénibles de la prostitution. Voir annexe 1, Précisions terminologiques.

[9] Voir extraits du Code criminel canadien, incluant les articles 210 à 213 relatifs à la prostitution, en annexe 2.

[10] La Finlande et la Corée du Sud ont aussi adopté de nouvelles lois pour contrer la prostitution.

[11] Voir en annexe 1, précisions terminologiques.

[12] Une étude menée à Vancouver révèle que 95% des femmes prostituées interrogées, majoritairement autochtones, souhaitent quitter la prostitution. 82% d’entre elles ont souligné avoir besoin d’un traitement en désintoxication (drogue ou alcool), 66% d’un logement ou d’un lieu sécuritaire, 67% d’une formation professionnelle, 41 % de soins médicaux, 49% de cours d’autodéfense, 58% de services de counselling et 33% d’assistance juridique. Voir Melissa Farley et Jacqueline Lynne, « Prostitution in Vancouver : Pimping Women and the Colonization of First Nations Women, dans Christine Stark et Rebecca Whisnant (ed.) Not for sale, Feminists Resisting Prostitution and Pornography, North Melbourne, Spinifex, 2004.

[13] Voir en annexe 1, Précisions terminologiques.

[14] Idem.

[15] Voir les Directives provisoires sur la traite des personnes, émises par Citoyenneté et Immigration Canada en mai 2006.

[16]      Selon l’article 212 (4) du Code criminel, l’achat de « services sexuels » de jeunes de moins de 18 ans est une infraction criminelle au Canada. Peine minimale : 6 mois ; peine maximale : 5 ans. Le proxénétisme de personnes de moins de 18 ans est également un acte criminel. Peine minimale : 2 ans ; peine maximale 14 ans. Voir annexe 2, Extraits du Code criminel canadien.

[17] Voir annexe 1, Précisions terminologiques.

[18] Idem.

Copyrights : CC by-nc-sa 2.0
Last modified 2007-04-17 03:53 PM