La paix : pièce manquante, le féminisme*

Parler de paix est une nécessité, il suffit d'ouvrir la télévision ou un journal pour y voir les millions de raisons nous poussant à dénoncer les guerres et les occupations. Des groupes féministes comme la Ligue internationale des femmes pour la paix ont réussi, en l'an 2000, à faire adopter une résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies qui exige des états membres d'inclure des femmes dans tous les processus de négociation et de maintien de la paix ou de résolutions de conflits. La Ligue, à l'instar de plusieurs groupes, appelle à construire une culture de la paix qui va bien au-delà de l'absence de guerre mais suppose un travail de fond pour s'adresser à ses causes.

Parler de démilitarisation l'est tout autant…plus que jamais depuis le 11 septembre 2001 et ses lendemains guerriers. Durant les années 90, ce sont des conflits circonscrits et trop souvent oubliés qui ont entaché notre humanité, pensons au génocide rwandais, la guerre des Balkans, la guerre du Golfe et les conflits ethniques très souvent commandés de l'extérieur par les superpuissances cherchant à affirmer leur contrôle d'une région ou à s'en approprier les ressources. Ces guerres dites de « basses intensité » ont fait des millions de morts et de mortes sans compter les millions de femmes et de petites filles violées ou réduites à l'esclavage sexuel. Des groupes travaillent avec acharnement pour obtenir réparation et recours pour ces victimes.

Depuis 2001, c'est à une guerre sans fin et une intense glorification de l'action militaire que nous assistons. Des conflits persistent dans environ 50 pays ou territoires dans le monde. Les victimes civiles ne cessent de croître. Les civils et tout particulièrement les femmes sont littéralement prises en otage ou ciblées dans les attaques sans compter la nouvelle trouvaille qui instrumentalise les droits des femmes et invoque leur libération pour attaquer des populations civiles. Les bases militaires américaines pullulent sur la planète (il en existerait 702 dans 130 pays), les budgets militaires augmentent (en 2005, celui du Canada avait augmenté de 15 milliards en 5 ans). Les armées qu'elles soient légales ou rebelles recrutent dans les populations les plus pauvres ou enrôlent carrément des enfants.

Parler du féminisme s'avère une réponse essentielle à ces guerres et cette militarisation. L'action féministe contre la guerre et la militarisation prend diverses formes selon l'analyse portée. Il y a des actions pour inclure les femmes dans les processus de paix ou agir contre l'impunité des agresseurs et des états ou groupes utilisant le viol comme arme de guerre. Ou encore, les actions de désobéissance civile pour dire non aux agressions et créer des ponts par-delà les frontières comme le fait le Réseau Femmes en noir. Les femmes membres de ce réseau dans l'ex-Yougoslavie ont contribué à alimenter l'important débat sur la militarisation de notre quotidien, le rejet du nationalisme, les relations de pouvoir et le besoin de « protection » qui nous est instillé dès le plus jeune âge dans un système patriarcal, etc.

Certaines questionnent directement un féminisme d'égalité et de la différence qui applaudi l'inclusion des femmes dans les armées ou voit les femmes comme des architectes « naturelles » de la paix. Une autre féministe, Jules Falquet, décrit les nouvelles réalités de la division internationale et sexuelle du travail dans un texte intitulé « Hommes en armes, femmes de service » et nous pousse à analyser la militarisation comme une consécration des rôles dévolus aux femmes et aux hommes dans le système patriarcal.

La Marche mondiale des femmes, de son côté, a porté dès l'an 2000 la question de la paix et la démilitarisation, poussée en cela par des femmes vivant dans les régions en conflits notamment les Grands Lacs africains. Nous avons inscrit la paix comme valeur fondamentale de la Charte mondiale des femmes pour l'humanité. Notre désir de travailler sur les causes de la pauvreté et la violence envers les femmes nous amène à questionner les effets conjugués des systèmes comme le patriarcat, le capitalisme et le racisme qui jouent tous un rôle prépondérant dans le maintien d'un monde en guerre et d'une guerre perpétuelle contre les femmes. Une paix durable n'est possible qu'avec une transformation profonde des relations entre les femmes et les hommes.

*Traduction libre d'un slogan utilisé par des féministes de Vancouver « Feminism Is The Missing Peace »

Pour connaître la résolution 1325 et voir comment certains groupes s'en servent visiter leur site web http://www.peacewomen.org/Website_French/wpsindex.html

Déclaration de Nairobi sur le droit des femmes et des filles à un recours et à réparation, 21 mars 2007, Coalition pour les droits des femmes en situation de conflit http://www.dd-rd.ca/site/what_we_do/index.php?lang=fr&subsection=documents&id=2018&page=2&tag=&keyword=

Pour une très bonne analyse des diverses approches féministes en action contre la guerre et la démilitarisation, lire : From Where We Stand: War, Women's Activism and Feminist Analysis", auteure Cynthia Cockburn, publié par Zed Books, Londres, février 2007

Voir le site web des Femmes en noir de Belgrade http://www.zeneucrnom.org/index.php?lang=en

Voir Andrea D'Atri, Échec de l'égalité, échec de la différence, septembre 2004 http://www.ft-europa.org/francais/Strategie/EI21/Femmes_Guerre_(Ad'A).htm

Hommes en armes et femmes « de services » : tendances néolibérales dans l'évolution de la division sexuelle et internationale du travail, Jules Falquet, Cahiers du Genre 40, mai 2006

Pour divers textes de la Marche sur la situation dans la région des Grands Lacs africains vue par les femmes, un rapport d'un séminaire international sur la paix et la démilitarisation, les appels à la paix, etc. voir http://www.marchemondialedesfemmes.org/themes/paix/fr/