'A Ouaga, les femmes sont belles!' Texte de Monique Ilboudo sur la condition de la femme au Burkina Faso.
A Ouaga, les femmes sont belles!
Les femmes sont belles à Ouaga comme à Bamako, à Paris ou à Lima! Elles sont heureuses de leur sort. Aucun nuage ne vient assombrir leur ciel. Le soir, elles vont se coucher contentes et satisfaites. Le matin, elles se lèvent fraîches et épanouïes pour vaquer à leurs menues occupations dans la joie et la bonne humeur. Un tel tableau ne vous paraît-il pas trop idyllique? Y croiriez-vous si je vous le présentais? A Ouaga ou à Lima, à Bamako ou à Paris, il existe certainement des femmes qui répondent à cette description. Mais combien sont-elles?
A Ouaga, les femmes sont belles et debout face à une réalité quotidienne qui ne l'est pas toujours! Elles luttent pour avoir droit de cité, pour leur épanouissement personnel, le pain quotidien de leur famille, les besoins immédiats de leurs enfants. Elles luttent pour l'égalité de droits entre hommes et femmes qui n'est pas perçu comme une question de démocratie. Ici comme ailleurs, la longue marche des femmes n'est pas à son terme. Le principal combat se mène aujourd'hui autour de l'efficacité de leur citoyenneté officiellement reconnue et de l'élimination de toutes violences fondées sur le genre. La plupart de ces violences se parent pudiquement du manteau de la culture et de la tradition pour résister au changement. «Quand un homme est opprimé, a dit Taslima Nasreen (Bengladesh), on parle d'oppression, mais quand les femmes sont torturées, violées, opprimées, on appelle cela la tradition». Et la tradition, il ne faut pas y toucher, particulièrement en Afrique, et surtout lorsque cela concerne la situation des femmes.
Certains Africains de l'intérieur mais surtout de l'extérieur, idéalisent tant notre continent, sa culture et ses pratiques, qu'ils en viennent à prendre des positions contestables. Nous ne sommes ni pire ni meilleur que les Autres. Inutile d'un faire un continent fantastique qu'il faut, paradoxalement, quitter, encenser de loin, pour avoir une chance de réussir. La norme, les critères et les évaluateurs sont, il est vrai, situés ailleurs! Certes, c'est le propre de l'être humain, de l'exilé, de reformer la réalité qu'il a quittée. Quelquefois, il l'enlaidit, mais plus souvent, il la magnifie. C'est toujours loin de chez soi que la nostalgie vous ouvre les yeux sur vos propres richesses. La mémoire, espiègle, déforme et reconstitue à sa guise. On est donc tenté de gommer toute aspérité, nier les problèmes, idéaliser son pays, son continent, le sublimer. Mais de grâce, rendez aux Africaines leur mérite. Reconnaissez que bien des lois, bien des pratiques violent encore leur humanité, leur citoyenneté, et qu'elles font dignement face. Taire cette vérité qui dérange la quiétude de quelques exilés volontaires, c'est faire offense à ces femmes debout en dépit de tout.
Personnellement, je ne me laisserai pas intimider. Autant je magnifie le charme sahélitique de mon Burkina, autant je me sens libre de dénoncer les écueils qui l'entravent encore. Je ne cacherai pas sous un voile de fausse pudeur les pratiques rétrogrades, les injustices et discriminations de toute nature, juste pour satisfaire les fantasmes d'Afrique de quelques intellectuels africains empêtrés dans leurs mensonges.
Monique Ilboudo
Ministre de la Promotion des Droits Humains
Burkina Faso
Last modified 2007-01-08 06:46 AM