DANS QUEL MONDE VIVONS-NOUS ?
Document de travail pour la première rencontre internationale préparatoire du 16 au 18 octobre 1998
Nous marcherons pour l'élimination de la pauvreté et de la violence faite aux femmes
Nous vivons dans un monde où, à l'aube de l'an 2000, existent encore de profonds déséquilibres entre le Nord et le Sud, les riches et les pauvres, les femmes et les hommes, les êtres humains et la nature.
Nous vivons dans un monde où une globalisation des marchés sans contrainte aucune et une spéculation effrénée entraînent une pauvreté extrême. Un milliard trois cent millions de personnes, dont 70% de femmes et d'enfants vivent dans un état de pauvreté absolue. Un monde qui a faim, où 20% des plus riches accaparent 83% du revenu mondial.
Nous vivons dans un monde où l'État abandonne ses responsabilités et ses obligations face à la dictature des marchés. Un monde où les institutions mondiales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international imposent leurs règles aux États sous forme de politiques d'ajustements structurels.
Nous vivons dans un monde où la discrimination à l'égard des femmes constitue la source principale des inégalités entre les femmes et les hommes. Un monde où depuis l'origine des temps, les femmes contribuent au développement de l'humanité sans que leur travail soit véritablement reconnu. Ainsi, même si elles fournissent en réalité les 2/3 des heures de travail, elles ne retirent qu' 1/10 du revenu mondial. Depuis la nuit des temps, l'économie quel que soit l'adjectif qui la qualifie se fonde largement sur le travail des femmes, rémunéré ou non, visible ou invisible.
Nous vivons dans un monde où les violences à l'égard des femmes continuent d'être une réalité universelle. Violence conjugale, agressions sexuelles, mutilations génitales, viols en temps de guerre, voilà le lot de milliers de femmes. Le racisme et l'homophobie viennent aggraver ce sombre portrait.
La Marche des femmes à l'échelle planétaire entend répondre à la vision néolibérale de l'économie et de l'organisation sociale par la mondialisation des solidarités. Elle entend aussi dénoncer toutes les formes de violence faites aux femmes. C'est au cours d'un atelier au Forum des ONG sur les femmes en Chine ( 1995) que La Marche mondiale des femmes en l'an 2000 a été proposée par des Québécoises comme pouvant être une action mobilisatrice de toutes les femmes du monde.
Dans quel monde voulons-nous vivre?
Les femmes du monde entier marcheront parce qu'elles entendent faire du troisième millénaire un siècle où s'inscrira à jamais l'exercice de leurs droits fondamentaux indissociables des droits humains universels, où l'ensemble des droits de la personne sont interdépendants, où l'égalité, la justice, la paix et la solidarité sont les valeurs dominantes;
Les femmes du monde marcheront parce qu'elles savent qu'elles ont la responsabilité de prendre part à la vie politique, économique, culturelle et sociale;
Les femmes du monde marcheront contre toutes les formes de violence et de discrimination qu'elles subissent;
Les femmes du monde marcheront pour mettre en commun des alternatives de coopération et de partage orientées vers d'indispensables changements.
Les femmes marcheront pour affirmer leur espoir de vivre dans un monde nouveau.
1) Nous marcherons pour éliminer la violence faite aux femmes
La violence faite aux femmes désigne tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. Elle constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés fondamentales et empêche partiellement ou totalement les femmes de jouir desdits droits et libertés. (Définition synthèse de la Déclaration et du Programme d'action de la Quatrième conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes , Beijing 1995)
Dans quel monde vivons-nous ? Quelques constats :
La violence à l'égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre les hommes et les femmes et elle constitue juridiquement une violation des droits humains et des libertés fondamentales. C'est une réalité universelle: elle s'exerce dans toutes les sociétés quelles que soient la classe sociale, le revenu et la culture.
La violence physique, sexuelle et psychologique à l'égard des femmes au sein de la famille se traduit par des coups, des sévices sexuels, les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes et aux fillettes, le viol conjugal, les violences liées à la dot, la violence non conjugale et celle liée à l'exploitation.
La violence physique, sexuelle et psychologique à l'égard des femmes s'exerce au sein de la collectivité notamment par des coups, le viol, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel et l'intimidation au travail, le proxénétisme et la prostitution forcée. La marchandisation accrue du corps des femmes est en relation avec leur appauvrissement causé largement par un libéralisme économique débridé.
La violence physique, sexuelle et psychologique est perpétrée ou tolérée par des États qui font primer les coutumes et les traditions sur les droits fondamentaux.
La violence touche toutes les femmes mais particulièrement celles qui sont les plus vulnérables : les femmes qui appartiennent à des minorités, les femmes autochtones, les réfugiées, les femmes migrantes, les femmes sans ressources, les petites filles, les femmes handicapées, les lesbiennes, les aînées etc.
Les zones de conflit armé constituent des lieux où les actes de violence à l'égard des femmes s'exercent comme armes de guerre notamment par le meurtre, le viol systématique, les sévices et l'esclavage sexuels, les prises d'otages et aussi les grossesses forcées.
La violence à l'égard des femmes comprend aussi les actes de terrorisme, la contraception imposée par la contrainte ou la force, les stérilisations ou les avortements forcés, la sélection prénatale en fonction du sexe, l'avortement des fœtus de sexe féminin et l'infanticide des petites filles.
Le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'Homme sur la violence à l'égard des femmes établit comme cause supplémentaire de violation des droits et libertés fondamentaux la traite des femmes et des fillettes, la prostitution forcée, le viol, les sévices et le tourisme sexuel lesquels sont souvent le fait de réseaux internationaux de crime organisé. De plus, elle ajoute que des mesures additionnelles doivent être prises pour mettre fin à toutes formes de travail forcé, de commercialisation du sexe, et de mariage forcé. En outre les femmes et les fillettes sont exposées à des risques supplémentaires concernant les grossesses non désirées et les maladies sexuellement transmissibles dont le VIH/SIDA.
La violence à l'égard des femmes génère des coûts humains, sociaux et économiques importants et elle constitue l'une des sources de leur appauvrissement.
Quel monde voulons-nous construire ?
Les femmes connaissent les moyens d'actions pour contrer la violence : l'éducation aux droits, l'accès aux services adaptés aux réalités des nations, les réformes juridiques comprenant une adéquation des lois nationales aux lois internationales, la réforme des tribunaux, la formation de la magistrature et du personnel des services publics, l'instauration de mécanismes de plaintes, le financement inscrit au budget national pour assurer des ressources suffisantes à l'élimination de la violence.
Les femmes condamnent l'inaction, l'inefficacité et le silence des États alors qu'ils sont dans l'obligation de fournir des moyens pour combattre la violence à l'égard des femmes notamment par la criminalisation des auteurs de crimes de violence, l'obligation de réparation et la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation et d'éducation concernant la violence faite aux femmes. De plus, les États doivent inclure la violence dans les critères pour l'obtention du statut de réfugiée. Enfin, tel que le Programme d'action de Beijing l'a énoncé, les considérations de coutumes, de traditions ou de religions doivent être subordonnées aux droits fondamentaux.
Les femmes réclament le respect de l'intégrité de leur corps et de leur être. Elles veulent voir des actions concrètes et un investissement réel pour l'élimination de toutes les formes de violence à leur endroit. Elles veulent une société où les hommes s'engagent dans l'égalité et où les gouvernements prennent au sérieux leur responsabilité d'assurer la sécurité de l'ensemble de leur population.
Voici donc les revendications que nous portons :
1.1) Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour la reconnaissance de nos droits fondamentaux en exigeant que l'ONU fasse des pressions extraordinaires pour que les États ratifient les conventions et les pactes relatifs à la discrimination et à la violence faite aux femmes et respectent les déclarations universelles. De plus, les États seront tenus de proposer des plans d'action pour éliminer la violence à l'égard des femmes.
( Notamment, la Déclaration universelle des droits de l'Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur l'égalité de rémunération, la Convention sur les droits de l'enfant, la Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, la Déclaration et le Plan d'action de Beijing).
1.2) Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour exiger l'ajout d'un protocole à la convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes permettant aux individus tout comme aux groupes de porter plainte contre les États.
1.3) Nous, les femmes du monde entier, marcherons en solidarité pour appuyer les projets de protocole liés au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi qu'à la Convention sur les droits de l'enfant comme moyens d'actions pour faire des pressions internationales obligeant les États à mettre en œuvre les droits énoncés dans cette convention et ce pacte.
1.4) Nous, les femmes du monde entier, marcherons en solidarité avec les femmes victimes d'actes de guerre pour appuyer l'établissement d'une cour criminelle internationale dont le projet de statuts comporte une disposition pour y inclure le viol, l'abus sexuel et la prostitution forcée comme crimes de guerre.
1.5)
Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour affirmer leur
solidarité avec les femmes victimes du crime de traite en appuyant la
révision de la Convention de 1949 pour la répression et l'abolition
de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution
d'autrui et les deux résolutions de l'assemblée générale de l'ONU
(1996), concernant le traffic des femmes et des fillettes et la
violence à l'égard des femmes migrantes et, qu'ensuite une application rigoureuse de la convention et des résolutions soit imposée aux États.
2) Nous marcherons pour éliminer la pauvreté
Compte tenu de la difficulté à définir la pauvreté, on se réfère généralement à ses manifestations et à ses conséquences pour la cerner. Toutefois, les instances de l'ONU associent la pauvreté, particulièrement la pauvreté extrême, au déni de l'exercice des droits humains, plus particulièrement de ceux des femmes.
Dans quel monde vivons-nous? Quelques constats.
Les femmes sont pauvres. Elles n'ont pas accès à des ressources comme l'alimentation et l'eau potable, à l'éducation et à la formation, à des services de santé de base, à la sécurité sociale, à la terre, à un revenu décent et équitable, au crédit, à l'emploi, aux nouvelles technologies, à la propriété foncière, à la succession, à des mesures pour lutter contre le chômage etc. Le travail des femmes est souvent peu reconnu, qu'il s'agisse de l'emploi salarié, du travail dans l'économie informelle et des tâches domestiques.
Elles savent que leur participation démocratique au développement des richesses collectives, au développement durable et aux décisions politiques est un passage obligé pour l'élimination de la pauvreté.
Mais, savons-nous que 80 milliards de dollars (chiffres provenant du Programme des Nations Unies pour le développement, le PNUD) dépensés annuellement jusqu'en l'an 2005 élimineraient la pauvreté et que cette somme représente moins que le patrimoine net des sept hommes les plus riches du monde?
Quel monde voulons-nous construire?
Les femmes veulent combattre le modèle néolibéral de développement économique qui domine le monde, le chômage, la désintégration sociale et environnementale, les exclusions, les inégalités et les différentes formes de discrimination à l'égard des femmes car ce sont les causes structurelles de leur pauvreté.
Elles identifient le développement durable comme élément vital de l'élimination de la pauvreté des femmes et mettent en cause les institutions financières internationales, les programmes d'ajustements structurels, la libéralisation sans règles sociales des échanges financiers et commerciaux et le fardeau de la dette, surtout dans les pays du Sud. Elles croient que l'ouverture des frontières doit être accompagnée d'exigences précises quant au respect des droits fondamentaux des populations.
Elles revendiquent le droit de posséder la terre et luttent pour le développement de l'autosuffisance alimentaire dans leur pays.
Les femmes exigent l'analyse et la prise en compte des rapports de sexe dans les politiques et les programmes qui sont considérés essentiels pour contrer leur pauvreté.
Même si elles ne connaissent pas toujours leurs noms, elles savent que les institutions financières internationales jouent un rôle de premier plan dans la répartition de la richesse et qu'elles en sont exclues par des pratiques discriminatoires. Elles exigent donc une représentation paritaire dans toutes les instances décisionnelles, nationales et internationales.
Les femmes revendiquent aussi la reconnaissance du droit d'association et de syndicalisation.
Les femmes condamnent les États où les dépenses militaires excèdent les budgets dévolus à la santé et à l'éducation et exigent que la transformation de l'industrie militaire s'inscrive dans le développement d'une économie fondée sur le développement durable et le respect des droits fondamentaux.
Elles demandent l'annulation ou la réduction de la dette extérieure des pays en voie de développement et l'application des moyens comme la formule du 20/20 entre pays donateurs et pays récepteurs de l'aide internationale. Ainsi, 20% de l'argent versé par le pays donateur doit être dédié au développement social et 20% des dépenses de l'État qui reçoit des dons doivent être consacrées aux programmes sociaux; Les pays riches doivent reconduire leur engagement à investir 0,7% de leur produit intérieur brut (PIB) dans l'aide aux pays en voie de développement.
Les femmes revendiquent enfin l'élimination des 37 paradis fiscaux car leur existence constitue une forme légalisée de vol au regard des besoins vitaux des peuples.
En somme, elles veulent une véritable répartition de la richesse entre les femmes et les hommes, le Nord et le Sud et entre les femmes elles-mêmes. Elles veulent un monde où des engagements seront pris pour instaurer un système économique mondial démocratique, plus transparent, plus imputable et plus juste.
Voici donc les revendications que nous portons :
2.1) Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour l'inclusion d'articles supplémentaires reconnaissant ce que sont les besoins fondamentaux des humains dans la Déclaration universelle des droits de l'homme (sic) afin d'assurer des conditions de vie décentes à toutes et à tous.
2.2) Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour exiger que toutes les ratifications de conventions et d'accords internationaux soient subordonnées aux droits humains et fondamentaux, individuels et collectifs.
2.3) Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour réclamer la création d'un conseil mondial pour la sécurité économique et financière dont le mandat serait de redéfinir les règles d'un nouveau système financier mondial.
2.4) Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour obtenir la fin du secret bancaire et appuyer l'adoption de la formule Tobin, soit l'application d'une taxe de 0,5% sur les transactions de capitaux spéculatifs et que les revenus de cette taxe soient versés dans un fonds dédié au développement social auquel les femmes devront avoir un accès privilégié.
(formule proposée en 1983 par M. Tobin, Prix Nobel de l'économie)
2.5) Nous, les femmes du monde entier, marcherons pour exiger un financement adéquat des programmes des nations unies qui sont essentiels à la défense des droits fondamentaux des femmes et des enfants tels UNIFEM (Programme pour les femmes), le PNUD (Programme pour le Développement) et UNICEF (Programme pour les enfants).
Last modified 2006-04-12 02:30 PM
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