L’action planétaire 2005 de la Marche Mondiale des Femmes
Une Marche qui marche...
Par Sonia Mitralias, membre du réseau grec de la Marche Mondiale des Femmes
L’année 2005 est marquée par la deuxième
action planétaire de la Marche Mondiale des Femmes contre les violences et la
pauvreté (MMF). Cette deuxième campagne planétaire de la Marche Mondiale a
débuté d’une manière impressionnante à Sao Paolo au Brésil le 8 mars dernier,
avec une manifestation de 40 000 femmes de toutes origines, blanches,
noires, indiennes autochtones de l’Amazonie, qui ont défilé avec les paysannes
sans terre du MST, les femmes sans logis, les syndicalistes… C’est dans la joie
et dans une atmosphère festive que débutait cette nouvelle aventure. Jusqu’à
présent la Marche à déjà parcouru les Amériques, et maintenant est en train de
traverser l’Europe. Ensuite elle s’en ira en Asie et aboutira en Afrique pour
terminer le 17 octobre, à Ouagadougou au Burkina Fasso. Ce jour-là sera la
journée internationale de mobilisations de femmes partout sur la planète.
D’où vient la Marche ?
La Marche Mondiale de 2000 avait été une
grande et bonne surprise, surtout à l’époque où on s’empressait d’affirmer la
mort du féminisme.
C’était en l’an 2000, que des femmes de
plus de 159 pays des quatre coins de notre planète s’étaient réunies et plus de
6000 groupes de femmes dans le monde s’étaient mobilisés pour faire entendre
leurs voix contre la pauvreté et les violences intolérables à leur égard, pour
dénoncer l’oppression qu’elles subissaient dans toutes les civilisations, les
cultures, les régimes politiques et que le néolibéralisme ne faisait
qu’aggraver… C’était la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’avait
lieu une mobilisation mondiale de ce genre et de cette ampleur. C’était une
première mondiale ! Des femmes de toutes nationalités, origines
politiques, culturelles et sexuelles se mettaient ensemble avec enthousiasme.
Elles s’organisaient en réseaux horizontaux, larges et unitaires, et se
coordonnaient au niveau local, national et planétaire. Jusqu’à nos jours, il
s’agit du seul mouvement social implanté aux Amériques, en Europe, en Asie, en
Australie et en Afrique…
Tout cela était nouveau. La Marche
Mondiale était bel et bien à l’avant-garde du mouvement altermondialiste et ce
n’est pas un hasard si un peu plus tard, la MMF figurait parmi les forces
fondatrices du Forum Social Mondial. Pourtant, encore aujourd’hui, les acquis
théoriques et les expériences sociales et politiques de ce mouvement si
novateur et radical, restent inégalement appréciés et valorisés dans les mouvements
mixtes.
La Marche de 2005, un remake de 2000 ?
La deuxième marche de 2005 est loin d’être
un remake, une répétition de celle de 2000. Si le grand acquis de la campagne
de 2000 était d’avoir mis ensemble des dizaines des milliers de femmes d’origines
diverses et d’avoir donné de la visibilité à leur invisible détresse, elle
restait néanmoins un large regroupement défensif de nature symbolique et
généraliste. Depuis lors la Marche a évolué, elle est devenue « une action
permanente, un réseau qui se caractérise par une continuité ».
Cette année, la campagne de 2005 de la
Marche prend une forme inédite qui s’articule autour de trois actions :
1. La
Charte Mondiale des Femmes pour l’Humanité, plus qu’un texte programmatique
est un outil, un fil qui nous lie entre nous afin de construire notre propre
mouvement autonome des femmes, tout en construisant un autre monde. En effet,
elle est l’aboutissement d’un processus collectif et consensuel d’élaboration,
après près de deux ans de discussion planétaire, auquel ont pu participer les
6000 associations et autres organisations et collectivités de femmes de la
Marche. Elle a été adoptée le 10 décembre 2004 à Kigali, au Rwanda, lors d’une
rencontre internationale de la MMF, qui a vu les femmes de l’Afrique Noire y
participer en masse. La Charte nous propose de construire un autre monde
d’égalité, de liberté, de solidarité, de justice et de paix.
2. Une marche
à relais qui fait le tour du monde et qui fait passer la Charte a travers
53 pays, créant ainsi une foule d’événements locaux et une myriade d’actions
revendicatives. Lors du passage du relais de la Charte, chaque pays marque son
identité et illustre une image avec son idée d’un autre monde possible sur un
carré de tissu qui s’ajoute aux autres, formant ainsi un patchwork mondial.
3. Une action
mondiale qui aura lieu le 17 octobre prochain, journée internationale
contre la pauvreté.
La Marche à relais, une idée géniale !
Avant qu’elle n’arrive en Europe, quelques
points relais nous donnent une idée du voyage de la Charte a travers les
Amériques. Après le départ du relais au Brésil, l’accueil de la Charte en
Argentine a mobilisé des milliers de femmes (et d’hommes) et des mouvements
sociaux aussi divers que les associations de quartier de Buenos Aires et des secteurs
syndicaux en lutte. La traversée de la Bolivie et du Pérou, a donné l’occasion
aux femmes indigènes Aymara et Quechua d’attirer l’attention sur les
revendications des peuples autochtones. De même en Équateur, encore un pays
andin en ébullition sociale et politique comme d’ailleurs en Colombie, où les
manifestations accompagnant le passage de la Charte se sont transformées en
protestations contre la violence endémique du régime de ce pays. Et ensuite,
changement de décor à Cuba ou l’accueil de la Charte a pris les dimensions
d’une (presque) affaire d’État, avec lecture et explication du texte dans les
centaines d’organisations de base de l’organisation des femmes
officielle ! Et puis, il y a eu la traversée de l’Amérique centrale
(Honduras, Guatemala,...) centrée sur le refus de la ZLÉA (Zone de libre
échange des Amériques) avant que le relais n’aboutisse en Amérique du Nord.
Après un bref passage aux États-Unis, la Charte a fait ses adieux aux Amériques
en toute beauté par une grande manifestation de 15 000 femmes au Québec,
qui d’ailleurs a été son berceau...
L’accueil de la Charte en Europe a été
l’affaire du très dynamique mouvement féministe turc. A Istanbul, le 9 et le 10
mai, il y a eu deux journées d’activités internationales avec des participantes
de Grèce, de Bulgarie, de Chypre et d’Azerbaïdjan. Après une manifestation très
colorée et dynamique de 3000 femmes, féministes et syndicalistes venues de
différents coins de Turquie, nous avons fait la fête toutes ensemble. Nous
avons clôturé avec des discours antinationalistes et sur les droits des femmes,
en soulignant le rôle que peut jouer la solidarité féministe pour la
construction des ponts entre nos peuples, si longtemps « ennemis
héréditaires » dans une région traumatisée par les guerres nationalistes,
les « échanges de populations » et les nettoyages ethniques. Nous
avons proposé aussi une politique de désarmement à nos pays respectifs. La
rencontre des féministes turques et grecques a fait la « une » de la
grande presse turque pendant une semaine et a représenté une étape importante
dans le processus de développement du réseau balkanique de la MMF.
Ensuite, la Charte a été portée en Grèce
par 50 femmes turques. Première étape Thessalonique, capitale de la Grèce du
nord, et proche des frontières turques et bulgares. Ici aussi, la presse, la
population locale, les autorités ont été impressionnées par les événements. Le
12 mai, manifestation de plusieurs centaines de femmes qui ont déferlé dans les
rues de Thessalonique, avec nos amies turques en tête, criant avec entrain
notre envie de créer un autre monde ensemble. Jamais dans l’histoire des voix
de femmes turques et grecques, manifestant ensemble, n’avaient résonné dans les
rues de cette grande ville, très portée sur le nationalisme. Des mémoires enfouies
de vies paisibles entre les deux peuples se sont réveillées. Des gens de la
minorité turque en Grèce ont rejoint spontanément la manifestation. Plus tard,
des amis nous affirmaient que si cette initiative avait été prise par des
mouvements mixtes, on aurait eu des attaques de l’extrême droite et on aurait
crié à la provocation….
Le meeting qui a suivi a mis l’accent sur
les délocalisations et sur les rapports de solidarité entre les syndicats des
deux côtés de la frontière gréco-bulgare. En, effet, Thessalonique et toute la
Grèce du Nord souffrent des délocalisations de son industrie vers la Bulgarie.
L’industrie textile, très importante en Grèce du Nord, a perdu dans cette seule
région, 45 000 emplois dont plus de la moitié concernent des travailleuses.
De la seule ville de Thessalonique des dizaines d’usines ont été délocalisées
vers la ville frontalière bulgare de Sadanski. Ces usines emploient 20 000
jeunes ouvrières bulgares, payées 3,5 euros par jour et travaillant dans des
conditions exécrables.
En plus, Sadanski est la plaque tournante
régionale de la traite des femmes, dont la plupart viennent des pays de l’Est.
Un « marché » de femmes-esclaves sexuelles y prospère dans l’impunité
la plus totale. Elles sont achetées parfois seulement pour 1000 euros chacune
par des intermédiaires, qui les font entrer « illégalement » en
Grèce, où elles sont revendues et achetées en moyenne trois fois, avant d’être
considérées comme « non-rentables » par les réseaux des maquereaux.
La Charte a terminé sa traversée de la
Grèce au port de Patras, où elle a pris le bateau pour l’Italie, accompagnée
par une forte délégation des féministes de cette ville. Accueil chaleureux au
port de Brindisi, et le lendemain manifestation assez imposante pour cette
ville du sud italien qui n’avait jamais vu des centaines des féministes
grecques et italiennes dénoncer la violence contre les femmes. C’était aussi
une première qui laissera des traces...
Presque en même temps, à Chypre le réseau
de la MMF créait un événement lourd de signification politique. Plus d’une
centaine de femmes chypriotes grecques et turques, manifestaient pour la
réunification de l’île sur la « ligne verte » qui divise ces deux
communautés nationales. Fait exceptionnel, l’ensemble des organisations de
femmes ainsi que des syndicats et la majorité des partis politiques chypriotes
grecs et turcs, appuyaient la manifestation ! Le lendemain tous les
journaux tant grecs que turcs de l’île ne manquaient pas de souligner, photos à
l’appui en première page, que c’est le mouvement des femmes qui avait donné une
leçon de paix et de réconciliation des peuples aux politiciens nationalistes
qui persistent a maintenir Chypre comme ultime pays européen divisé.
En somme, malgré la faiblesse initiale des
forces féministes dans la région, le passage de la Charte par les Balkans a
produit des résultats concrets prometteurs pour l’avenir. Il a posé les bases
pour la création d’un vrai réseau de la MMF en Turquie, en Grèce, à Chypre et
en Bulgarie et surtout, il a commencé à jeter des ponts — même entre
syndicats ! — dans une région mondialement connue pour ses nationalismes
exacerbés, ses guerres et ses haines chauvines. Et évidemment, ce n’est pas un
hasard que cet internationalisme militant et exemplaire est le fait du mouvement
féministe et de la Marche Mondiale des femmes, qui unissent là où le
patriarcat, les nationalismes et le libéralisme divisent les opprimés...
Last modified 2005-07-11 05:16 PM