"Femmes et sida", Intervention de Marjolaine Degremont
RENCONTRES FEMINISTES MARSEILLE 2005
COMMISSION FEMMES
ACT-UP PARIS
Pour cette session sexualité avortement contraception, il était indispensable de faire un point sur le sida chez les femmes.
Rappelons les chiffres : pour la France aujourd’hui il y a presque autant de femmes que d’hommes infectées par le virus du sida, l’épidémie s’est féminisée et surtout est devenu hétérosexuelle. Environ 2500 nouvelles contaminations féminines chaque année en France, pays sensé être informé, où l’on dispose de tous les outils de préventions possibles et de toutes les informations, grâce aux associations de lutte contre le sida ( SIS AIDES ACT UP … ), et le planning familial, et malgré cela l’épidémie continue son chemin.
Environ 20 000 femmes séropositives vivent en France, dont 40 % de migrantes.
L’ EPIDEMIE CHEZ LES HETEROS
Quand nous parlons de prévention auprès des femmes nous ne devons pas oublier que les femmes sont contaminées par des hommes – hétéros pour la grande majorité qui donc ont étés eux-mêmes contaminés par des femmes, des femmes elles-mêmes contaminées par des hommes … c’est sans fin. C’est le propre d’une épidémie : exponentiel.
Comment lutter aujourd’hui efficacement pour que les femmes cessent d’être contaminées ? C’est par l’INFORMATION. Si ce travail d’information avait été fait efficacement depuis 20 ans on n’en serait pas là. LE SIDA N ‘ EST PAS UNE FATALITE - IL SUFFIT DE SE PROTEGER.
PREVENTION
Nous avons débuté un travail avec les associations féministe depuis quelques années, sur l’articulation de la prévention sida et de la contraception. Si le préservatif était utilisé systématiquement il n’y aurait pas besoin de prendre la pilule. Et de dire systématiquement aux filles prenez la pilule, le préservatif n’est pas sûr , c’est brouiller les pistes, et cela n’incite absolument pas à l’utiliser.
Pour nous le préservatif, bien utilisé, est un contraceptif sans faille. Mais les associations féministes ont eu l’impression pendant un temps que l’on piétinait leur combat en disant cela et s'affolaient du nombre d'avortements chez les adolescentes, en disant que c'est à cause des campagnes contre le sida que les jeunes filles ne prenaient plus la pilule. Là les médias ont aussi une responsabilité énorme. Dans tous les débats qui concernent la sexualité des femmes, que ce soit pour les 30 ans de la loi Veil, ou les problèmes liés à l’avortement, jamais le sida n'est mentionné comme si il n'existait pas.
L’époque a changé, depuis 20 ans on assiste à la montée croissante de l’épidémie de sida et donc on ne peut plus tenir les mêmes discours que dans les années 70. Comment voulez-vous que des adolescentes comprennent quelque chose ? Que les femmes qui ont vécues la libération sexuelle des années 70 se sentent concernées par le sida ? Comment voulez vous que les femmes se protègent contre le sida dans la mesure ou il est si peu mentionné dès que l’on parle de la sexualité des femmes ?
Et les hommes hétéros on n’en entend pas parler non plus ? Pour un homme hétéro dire qu’il est séropo, c’est impossible : on le prend pour un pédé. Les seuls qu’on entend toujours et encore sont les pédés.
Tant que TOUTES les femmes - sans aucunes distinctions, ni d’origine ethnique ou sociale, ni de pratique sexuelle ou comportementale - n’auront pas compris qu’elles sont concernées par le sida, l’épidémie continuera.
Les rapports sociaux de sexe sont aussi un vecteur qui accroît la contamination des femmes : beaucoup de femmes sont victimes de la domination masculine, de viols, de mariages forcés et n’ont pas les moyens d’imposer un préservatif à leur partenaire qui eux-mêmes sont dans le déni total du sida.
Pour nous la prévention du sida ne peut être que radicale. Actuellement il y a un seul moyen de se protéger du sida c'est le préservatif, masculin ou féminin, on ne cessera pas de le dire. Ce qu’on doit apprendre aux femmes en matière de prévention sida, c’est un rapport d’égalité, c’est l’ empowerment
EMPOWERMENT : donner les moyens aux femmes de renforcer leur autonomie .
SAVOIR= POUVOIR.
Un autre exemple : le fémidon (préservatif féminin) existe depuis 15 ans, et on ne le trouve en France que depuis 98. On en entend parler de temps en temps mais si on ne fait pas partie du milieu associatif il reste quasiment introuvable. Peu de pharmacies le vendent à Paris. Alors d'un côté on dit aux femmes "maintenant vous avez le choix" et le produit est introuvable. On leur parle d'empowerment mais on ne leur en donne pas les moyens. Le vrai choix serait d'aller anonyme dans n'importe quelle pharmacie ou supermarché pour l'acheter à un prix correct. On assiste un peu à un système d'assistanat envers les femmes : les pouvoirs publics préfère le faire distribuer gratuitement via les associations que de trouver un accord avec les producteurs pour que le prix baisse, Ou alors comme cela a été fait pour le stéri box , de lancer une subvention à la consommation. Cet outil de prévention qui est très efficace et agréable, et qui rend les femmes autonomes face à la prévention du sida, devrait être plus répandu mais le blocage envers le fémidon est également culturel, imaginons l'inverse : que la capote ait été inventé depuis 10 ans, les réactions seraient sans doute les mêmes.
LES FEMMES DOIVENT CESSER DE SE FAIRE CONTAMINER. IL EST TEMPS QUE LES MILIEUX FEMINISTES S’ENGAGENT REELLEMENT DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA
LES FEMMES SEROPOSITIVES
Si on n’a pas eu la chance de passer au travers et que l’on est séropositive il y a deux gros problèmes pour nous : 1 la visibilité, 2 les problèmes médicaux.
1 La visibilité et le rapport à l’autre.
60 % des femmes contaminées en France sont des femmes blanches issues de toutes les couches socio-culturelles, aussi bien des bourgeoises que des secrétaires, et la plupart de ces femmes là ne peuvent pas assumer le fait d’être séropositives et vivent des double vies (une vie cachée de séropo et une vie normale de séroneg).
POURQUOI ? Je crois qu’on a tout fait jusqu'à présent pour entretenir l’idée que le sida ne concernait que des hommes et pas n’importe lesquels (les homosexuels et les toxico). Mais il y a vingt ans des femmes étaient déjà contaminées par voie sexuelle, et ce blocage est incompréhensible car encore aujourd’hui dans la tête d’une grande part de la population le sida est toujours une maladie de pédé. Donc une femme séropo est tout de suite suspecte et n’est pas identifiable par la société. Comment voulez-vous qu’une femme contaminée puisse exister avec une maladie qui ne devrait pas la concerner soi-disant ? Ce mensonge que l’on entretient depuis vingt ans, et notamment les médias, est une construction pour lutter contre la peur, la peur que peut engendrer une épidémie : donc il faut des coupables, et c’était trop beau tout à coup une épidémie qui ne concerne que les marginaux (les pédés et les toxicos), donc personne ne veut que cela sorte de ces catégories, donc une femme contaminées c’est le diable et il ne faut surtout pas que cela se sache.
Et comme la majorité des femmes séropositives ne réagissent qu’en se cachant encore plus, que les milieux féministes ont découvert le sida en 2000 grâce à nous (AG des femmes d’Act-up Paris) et n’ont peut-être pas fait exactement ce qu’elles auraient dû depuis cinq ans, et qu’aujourd’hui on voit apparaître une nouvelle forme de revendications de certaines femmes séropositives, très minoritaires – se réfugiant dans une victimisation poussée à l’extrême, elles nomment des « coupables » qui les ont contaminées et qu’elles poursuivent en justice – donc le problème de la grande majorité des femmes séropos restent entier : comment vivre heureuse et épanouie, sans vivre une double vie, ni basculer dans une vengeance mortifère ?
VOILA LE RESULTAT DE VINGT ANNEES DE DENI DU SIDA CHEZ LES HETEROS.
Mais qui a le plus souffert de cela depuis vingt ans, ce sont les femmes séropos qui n’ont pas réussi à réagir aux poids des représentations, et pour qui c’est plus simple de vivre cachées. La lutte contre le sida ne deviendra efficace chez les hétéros que si les femmes séropo deviennent visibles.
Depuis dix ans nous sommes le premier groupe de femmes séropositives militantes qui avons revendiqué le droit à exister sans être obligées de cacher notre statut sérologique, le droit de travailler de séduire, d’être aimées, le droit à être considérées comme des femmes à part entière par le corps médical et le droit à être soignées en conséquence.
2 problèmes médicaux
Nous sommes les grandes oubliées de la recherche médicale, alors que nous représentons dans le monde plus de la moitié de la population touchée. Les seules recherches qu’il y a eu sur les femmes sont les recherches sur la transmission materno-fœtale, ce qui veut dire que les femmes ne sont toujours considérées que comme des reproductrices et jamais comme des individus à part entière. L’évolution de la maladie n’a pratiquement pas été étudiée chez les femmes, toutes les données sont masculines alors que l’on sait depuis 1998 que le taux de CD4 et la charge virale subissent de fortes variations pendant le cycle ovarien, ce qui voudrait dire que l’évolution du sida obéit à un dynamisme différent selon les sexes.
Des études sur le fonctionnement hormonal seraient nécessaires. Quant aux dosages des médicaments, et cela très peu de femmes séropos le savent, ils ne sont absolument pas adaptés à la physiologie féminine. Les essais sont menés principalement sur des hommes (seulement 20% de femmes y participent), l’unique raison est que l’on ne peut pas empêcher une femme d’être enceinte ce qui est fortement déconseillé pendant un essai sur une nouvelle molécule. Mais je pense qu’aujourd’hui une femme est capable de s’engager à ne pas être enceinte. Le résultat de cela est que nous prenons des médicaments complètement surdosés, les doses et posologie sont établies à la base pour des hommes qui ont un poids moyen de 7O KG. Ces surdosages entraînent chez les femmes des effets secondaires démultipliés, très handicapants et dangereux. Certaines femmes qui pèsent 45kg s’étonnent d’avoir des pancréatites aiguës, des hépatites fulminantes ou les reins bloqués. Pour pallier à cela on nous propose des bricolages dans les dosages avec les doses enfants quand elles existent, mais la plupart des molécules n’ont qu’une dose.
Quant aux essais actuels sur les effets secondaires, que ce soit les réparations pour les lipoatrophies ou les problèmes cardio-vasculaires, il est plus simple pour le corps médical d’en écarter les femmes car elles n’ont pas les mêmes réactions que les hommes, ce qui veut dire que si on tenait compte des résultats féminins, les conclusions de l’essai ne seraient peut-être plus adaptés aux hommes. Les médecins seraient-ils misogynes? La plupart des femmes séropositives subissent cela sans le savoir. Et il est temps que de vrais informations soient diffusées auprès des femmes séropositives sur les médicaments qu'elles avalent tous les jours.
IL EST TEMPS Q’UNE VRAIE MOBILISATION SE METTE EN PLACE POUR LUTTER EFFICACEMENT CONTRE LE SIDA CHEZ LES FEMMES, TANT DU COTE DES POUVOIRS PUBLICS, QUE DU CORPS MEDICAL, ET DES GROUPES FEMINISTES.
MARJOLAINE DEGREMONT
Pour la commission femmes d’ACT-UP PARIS