Lettre ouverte d’une jeune ivoirienne de 24 ans exilée au Maroc depuis un an.
Je vous adresse aujourd’hui cette lettre car je n’ai plus que les mots pour crier ce qui se passe en Afrique, ce qui se passe dans mon pays, ce qui se passe au Maroc.
Pour tout commencer…je suis allé à l’école jusqu’à l’âge de 8 ans. Après le décès de ma mère, plus personne ne pouvait payer les frais de l’école. Mon père n’avait pas de travail. Et moi je vivais chez mes grands-parents maternels qui n’avaient pas non plus l’argent pour me permettre de continuer les études.
J’ai commencé à faire du commerce. Je vendais des aubergines au marché. A 9 ans, j’ai appris à tresser.
J’aurais aimé pouvoir aller à l’école pour essayer de m’en sortir avec les études. Mais ce n’était pas la Volonté de Dieu.
C’était la guerre chez nous. Quand j’ai quitté la Côte d’Ivoire à 20 ans, je n’avais pas à l’idée de venir au Maroc. Un jour, dans mon village Gagnoa, des militaires et des civils armés sont rentrés chez moi. Ils nous ont demandé si nous étions des djulas musulmans. Nous avons répondu que oui. Ils nous ont frappés, agressés et sont repartis après avoir volé nos biens. Mon frère et mon père, traumatisés, sont tombés malades. Ma sœur et moi avions décidé de fuir. Nous avions peur qu’ils reviennent, qu’ils nous violent.
Le Mali paraissait être un bon endroit pour chercher un travail et se faire des économies. 2 semaines de route avant d’arriver à Bamako. Nous sommes restées dans un village, chez une famille qui nous avait accueillies parce que l’on parlait le djulas comme eux. Ils nous ont offert l’hospitalité. Ma sœur et moi sommes restées un an au Mali. On travaillait dans un restaurant, on lavait les assiettes. Tous les jours. Nos salaires suffisaient à peine à payer le loyer, la nourriture, sans pouvoir faire des économies.
Nous étions obligées d’aller au Sénégal. Peut-être y trouverions-nous un travail qui paierait plus. Car rester au Mali signifiait ne pas s’en sortir.
Nous avions 12 000 francs CFA chacune de notre année de travail. Nous sommes donc parties à Dakar. Nous y sommes restées 6 mois. On a fait du ménage dans les maisons. Ca payait un peu plus que le restaurant, mais nous étions exploitées. On travaillait de 5h du matin à minuit. On n’avait pas de jour de repos. Ca a duré 2 mois. On a cherché un autre travail mais en vain.
Un jour un monsieur nous a dit : « Allez au Maroc. Au Maroc, il y’a des ONG qui soutiennent et aident les réfugiés. » Et nous sommes des réfugiés. Nous étions aussi orphelines…mon père venait de décéder.
Nous sommes donc allées en Mauritanie, soit une semaine de route. Nous n’avions pas les moyens de prendre un car directement. On s’est arrêtées dans deux villages en route. On y a travaillé pendant 2 jours, pour pouvoir payer le reste du trajet.
Arrivées à Rosso, nous avions vendu tous nos habits, pour pouvoir récupérer l’argent et nous rendre à Nouakchott. Le trajet s’est avéré plus cher et nous n’avions pas toute la somme. Le chauffeur de Taxi nous a dit que coucher avec lui remplacerait la somme que nous n’avions pas. Nous lui avons donc menti disant que nos parents habitaient la capitale et qu’ils allaient payer pour nous.
Arrivées à un barrage, un policier nous demande nos papiers. J’avais ma carte d’identité. Ma sœur, elle, n’avait que son certificat de perte de sa carte. Il nous a donc ordonné de descendre. Je me suis mise à pleurer, lui disant que nous avions quitté la Côte d’ivoire à cause de la guerre. Et que de toutes les manières, nous ne restions qu’une semaine à Nouakchott.
J’ai beaucoup pleuré, lui demandant pardon. Je lui ai aussi raconté que nous refusions de coucher avec le chauffeur comme il nous l’a demandé. Et là à ma grande surprise, il a ordonné à toutes les personnes qui étaient dans le taxi de descendre et a obligé le chauffeur à payer un autre taxi à tout le monde car ce qu’il avait voulu faire était inadmissible. Nous sommes des femmes, des réfugiées et pas des putes. Il a aussi obligé le chauffeur à payer une amende.
Voilà comment nous sommes arrivées à la capitale.
Et c’était parti… On a trouvé un travail de ménage pour une semaine. Nous dormions dans la maison même.
Ensuite nous sommes allées à Nouadhibou. (C’était très compliqué de trouver un autre travail à Nouakchott et le choléra faisait ravage dans le quartier où nous habitions)
Un couple de Gambiens a proposé de nous aider. Ils nous payait une chambre, le temps que l’on trouve un travail. Au bout de deux semaines, nous avions trouvé un travail. Nous tressions les femmes. Deux mois après, nous avons ouvert un petit salon de coiffure. Ça a très bien marché. On pouvait enfin faire des économies, et subvenir à nos besoins. Ca a duré un an. Malheureusement, le salon a commencé à marcher de moins en moins. J’ai eu peur de perdre le peu que nous avions économisé. J’ai donc décidé de suivre le conseil du vieux.
Là-bas au Maroc au moins les ONG allaient nous aider.
Je suis partie, ma soeur est restée.
Je suis entrée en Algérie par le Mali. Nous étions un groupe de 10 personnes à traverser ensemble la frontière Mali Algérie- j’étais la seule fille. Une fois en Algérie, le soir même nous avons été raflés avec un autre groupe d’exilés dont 2 femmes. Les policiers nous ont amenés vers la frontière marocaine, et nous ont laissés entre les mains des militaires algériens. Nous avons été agressés. Ils nous ont pris notre argent.. Moi j’étais blessée au pied par des épines car j’étais pieds nus. Pendant les rafles, je n’ai pas eu le temps de remettre mes chaussures. Il fallait fuir. Beaucoup de sang coulait.
Les militaires ont demandé aux hommes de partir vers le Maroc.
Ensuite ils ont demandé aux femmes de se déshabiller car elles cachaient peut être de l’argent. On me l’a demandé aussi mais j’étais indisposée. La vue du sang a effrayé le militaire, il m’a demandé de me rhabiller. Je pleurais et je ne pouvais pas bouger.
Ils ont violé les deux autres femmes devant moi.
L’un deux m’a ensuite prise sur son dos, et nous ont emmenées toutes les trois à la frontière. Une fois toutes seules et au Maroc, nous avons croisé des agresseurs. Ils étaient nombreux et ils avaient beaucoup de chiens. Ils parlaient de tous nous violer, mais beaucoup s’y sont opposés. Il n’y avait plus que 3 hommes qui sont restés. L’un deux connaissait la Côte d’ivoire. Il disait que les Ivoiriens étaient gentils, et que parce que j’étais trop jeune, ils ne me feraient pas de mal. Les deux autres disaient qu’ils avaient envie de femmes, et qu’ils allaient violer les deux autres. Il a essayé de les en dissuader mais ils ont menacé de nous égorger toutes les trois. Encore une fois, j’étais présente et je ne pouvais rien faire.
Une fois le crime commis, ils nous ont accompagnées vers la route goudronnée et nous ont montré le chemin vers le campus de Oujda. Il faisait nuit, il faisait froid.
Voilà comment je suis arrivée au Maroc.
Je me suis installée à Rabat pendant 8 mois. Pour gagner ma vie, je tressais les femmes. Ca ne me rapportait pas beaucoup, mais je pouvais au moins payer les frais du loyer et manger de temps en temps. J’ai été au bureau de l’UNHCR où j’ai réussi à avoir le statut de réfugiée. Ce n’est pas facile à avoir.
On peut être réfugié pour une multitude de raisons. Mais elles ne sont pas toutes prises en compte. Chez moi, y’avait la guerre. Je suis jeune et je suis une femme, une maman. Car en Côte d’Ivoire, j’ai laissé ma fille à un an. Elle vit chez ma grand-mère. C’est pour elle aussi que je suis partie. Pour pouvoir lui assurer une vie meilleure que la mienne.
Le soir du 23 décembre, la police a enfoncé la porte de chez moi. Il était 8h du soir. Ils m’ont tapée car je refusais de sortir. Je n’avais ni tué, ni volé et je ne me prostituais pas. Je leur ai montré mon papier de l’UNHCR, mon statut de réfugiée. Ils l’ont déchiré. Ce papier n’a aucune valeur.
Des bus remplis d’exilés ont été envoyé vers Oujda, vers la frontière avec l’Algérie. Des femmes, des femmes enceintes, des enfants, des malades, des handicapés, réfugiés demandeurs d’asile et sans papiers.
Un jour il y’a eu la guerre. Un jour j’ai vécu la guerre. Pour ma fille j’ai décidé de fuir. Chercher un endroit où l’on pourrait construire.
Un monsieur m’avait dit... Va au Maroc, il y’a des ONG qui soutiennent et aident les réfugiés » Et je suis une réfugiée.
Aujourd’hui, on me fait encore la guerre. Entre mourir et mourir, je me meurs. Mais je garde espoir. La main bénie finira par se tendre, si Telle est la Volonté de Dieu.
En tant que femme, en tant que mère, je dis: assez de la violence, assez de l’humiliation, assez des viols, de la maltraitance.
Nous les femmes, et je parle au nom de toutes les femmes exilées au Maroc, nous sommes fatiguées. Avoir peur, être toujours sur ses gardes, ça épuise psychologiquement et physiquement.
Au Maroc, la condition des femmes est critique, très critique. Il faut aider les femmes à trouver un travail digne pour pouvoir s’en sortir. Beaucoup tapent le sallam 3alykoum (la mendicité), et se prostituent pour survivre.
Moi je tresse les femmes, mais quand je n’ai pas de clientes, je prends des crédits. Je ne veux pas taper le sallam 3alykoum, je ne veux pas me prostituer. La prostitution c’est l’humiliation, c’est le sida, c’est les sales maladies. Et tout ça c’est la route. Des femmes meurent sans qu'on ne sache de quoi. Elle dépérissent seules. Et ça c’est la route. C’est les viols. C’est la souffrance de l’âme. Mais nous ne sommes que des réfugiés, des sans papiers, des Africains, des Noirs.
Je vous lance un appel : faites quelque chose pour ces femmes. Elles ont des familles à charge, et avec des hommes irresponsables ou seules, comment s’en sortir dignement quand toutes les portes sont fermées, quand le rejet, les impasses sont tout ce que vous récoltez ?
Nous avons besoin de structures qui servent l’être, qu’elles se mettent en place pour nous aider, nous soutenir humainement, matériellement et qu’elles portent nos souffrances et nos revendications afin que combat il y’ait, que justice soit faite.
Comment les Africains peuvent-ils continuer ainsi ? Notre continent subit une extermination massive, humaine, culturelle et intellectuelle…Qu’adviendra t’il de nos enfants ? Quand les guerres, les maladies, la misère, l’exploitation ravagent sans un jour de répit nos peuples ? Nous les exilés, nous sommes la conséquence des maux de notre mère Afrique…et les maux de notre mère Afrique sont la conséquence de l’hypocrisie internationale, la traîtrise de nos dirigeants, le silence, le fatalisme, l’ignorance des masses, l’incompétence et l’inefficacité des instruments de l’ONU et des organismes internationaux afin que respect des droits de l’être humain il y’ait.
Pour nos enfants, pour les enfants de nos enfants et ceux à venir, un autre monde sera-t-il réellement possible ?
Last modified 2007-03-09 05:03 PM