Un autre paradigme
Il ne s’agit pas simplement de travailler à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein de l’actuel système politique et économique dominant bien que des réformes à court terme soient incontournables et nécessitent de fortes mobilisations : égalité salariale, égalité de représentation politique, partage de la responsabilité des enfants et des tâches domestiques, fin de toutes les violences envers les femmes, etc.
Si nombre de femmes sont actives dans diverses initiatives économiques, c’est qu’elles sont responsables de la vie. Une grande majorité de femmes sur cette planète sont responsables de la reproduction humaine, du maintien de la vie et des soins aux personnes. Les initiatives et les efforts d’insertion des femmes dans l’économie, « dominante » ou non, sont en grande partie influencés par l’urgence de protéger la vie et celle d’assurer l’accès aux biens et services essentiels pour elles-mêmes et pour leurs familles
Ces efforts vont demeurer. Mais il nous faut aller plus loin et questionner les fondements mêmes du capitalisme et du patriarcat à partir du point de vue des femmes et de proposer de nouvelles orientations basées sur :
· une conception résolument solidaire de l’économie en opposition à l’économie machiste et guerrière dominante qui produit un très petit nombre de gagnants et une grande masse de perdantEs. Une économie nouvelle socialise les gains de productivité au lieu de les privatiser.
· une autre conception de la richesse, de la production et de la consommation qu’est-ce que la richesse ? qui la produit ? comment ? pour qui ? Ces questions renvoient à l’élaboration de nouveaux indicateurs de la richesse, indicateurs pluriels axés sur le développement humain et qui prend en compte le travail invisible des femmes tant dans la production que la reproduction sociale.
« L ‘autre monde » doit se montrer très critique face à l’invisibilité du travail de reproduction de la vie fait très majoritairement par les femmes et ignoré dans la comptabilité de la richesse, au productivisme boulimique et à la consommation compulsive et destructrice de l’environnement qui caractérisent le système actuel et qui, seuls, sont comptabilisés dans le PNB des pays. Certes, des gains ont été faits à ce chapitre mais il importe de poursuivre à la fois l’analyse et les propositions susceptibles de faire avancer cette question.
Travailler dans cette direction suppose une autre façon de produire, de consommer, d’investir, d’échanger et donc entre autre un rejet de l’industrie militaire, de l’industrie de la pollution, de l’industrie du « gadget inutile », de l’industrie de la spéculation et une valorisation du commerce équitable, de la consommation raisonnable, de l’investissement socialement et écologiquement responsable, de monnaies complémentaires, etc.
Travailler dans cette direction suppose la remise en question des notions de « propriété privée des moyens de production et des capitaux », d’accumulation de la richesse individuelle et l’expérimentation de formes diversifiées de démocratie économique.
· une autre conception du travail et de sa place dans l’économie ce qui implique diverses orientations telles :
. la réduction et le partage du temps de travail pour que tous et toutes aient accès au travail;
. la reconnaissance et l’émergence dans la sphère publique formelle du travail « invisible » des femmes, entre autre la reconnaissance des savoirs traditionnels et des savoirs d’expérience acquis à l’extérieure de la sphère économique « dominante ». Ces savoirs contribuent au bien-être des personnes et des collectivités. Il est fondamental de les valoriser et de leur reconnaître une « rentabilité sociale » autant qu’une « rentabilité économique »
. la reconnaissance que le travail i.e. l’activité productive qui permet à la société d’assurer la reproduction des conditions matérielles de vie et aux individus de participer à l’échange économique n’est pas la seule activité humaine essentielle à la vie mais qu’il doit être concilié avec les autres activités humaines tout aussi essentielles : activités familiales, amicales, amoureuses qui inscrivent les individus dans d’autres logiques, d’autres types de liens et de sociabilité; activités politiques au sens de la participation à la détermination des conditions quotidiennes de vie et du bien commun; activités culturelles pour soi, à titre gratuit. Cette orientation suppose une économie et des politiques qui garantissent aux femmes et aux hommes la conciliation de ces activités.
. une autre conception de la famille et des rôles attribués aux parents, ce qui implique entre autres :
- la conciliation des différents rôles et activités familiales et domestiques quotidiennes;
- le partage du temps consacré a l’éducation et aux soins des enfants (avec bien entendu un système public de garderies)
- le partage des responsabilités face aux personnes âgées ou handicapées demeurant dans la famille (avec bien entendu un système public de services et de soins à domicile)
- l’ouverture à des modèles diversifiés de « famille » (familles recomposées, familles de conjointes homosexuelles, etc.)
Il est essentiel de déconstruire les mythes et les préjugés tenaces concernant le rôle des hommes dans l’éducation et les soins aux enfants, le travail domestique, et l’ensemble des tâches essentielles à la vie familiale. Les hommes sont appelés à assumer toutes ces tâches dans un partage égalitaire avec les femmes, sinon c’est l’ensemble de leur vie qui s’en trouve appauvrie.
· une préoccupation importante pour la « qualité de vie »…du pain et des roses.
Les slogans mis de l’avant par les femmes africaines témoignent de ce souci non seulement du « niveau de vie » mais de la « qualité de la vie » (qui parfois et même souvent peuvent ne pas correspondre et même s’opposer : on peut être « riche » matériellement mais avoir un mode de vie « pourri »…c’est le cas de l’Occident dont le niveau et le mode de vie, de production et de consommation mettent la paix, l’environnement, les rapports sociaux et la santé mentale des individus en danger) :
- Burkina Faso : « Jil, Suma, Neema” = Eau, nourriture, plénitude
- Guinée : « Boyésa-balo-kelhal » = Paix, nourriture, bonne gouvernance
- Mali : « Lafia ani Hera » = Pain et bien-être
- Togo : « À manger pour tous et Paix du cœur »
Lorraine Guay
Extrait du texte préparé pour le symposium du Carold Institute, Vancouver Juin 2002
SourcesTiré du texte de la Marche mondiale à Porto Alegre II, Janvier 2002
Rapport-synthèse du Chantier « Femmes et économie » de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire, 2001.
Réflexions à partir de Dominique Meda, Les femmes peuvent-elles changer la place du travail dans la vie ?, 26 février 2000 à l’occasion des Six heures de l’écologie politique, France.
Last modified 2006-04-24 10:34 AM
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