Lettre à Kofi Annan, Secrétaire général de l'ONU, 17 octobre 2000
Texte également disponible en format .pdf
NOUS,
LES FEMMES EXIGEONS DE VIVRE DANS UN MONDE DELIVRE DE LA
PAUVRETE ET DE TOUTES LES FORMES DE VIOLENCES ENVERS LES FEMMES...
MAINTENANT !
Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan
Nous tenons d’abord à vous remercier d’avoir accepté de nous rencontrer. Nous considérons ce geste comme une preuve de l’importance que vous accordez aux mouvements de femmes à travers le monde, comme un signe de l’intérêt que vous portez aux problèmes vécus par les femmes et comme un engagement de votre part à écouter nos revendications et à les porter au sein de la communauté internationale.
Notre mobilisation se déroule au même moment que celle des grands
rendez-vous onusiens de Beijing+5, Copenhague+5 et du Sommet du
Millénaire où nombre d’engagements en faveur de la paix, de la justice
et du développement humain durable ont été renouvelés, reformulés ou
réaffirmés au nom du nous les peuples. Nous
voulons ici faire entendre la voix de millions de femmes de la base
engagées dans la Marche mondiale des femmes en l’An 2000
Nous les femmes...
Nous, les
femmes de la Marche mondiale, sommes entrées dans le troisième
millénaire en marchant contre la pauvreté et contre toutes les formes
de violence envers les femmes parce que ces deux plaies défigurent
l’humanité, la fragilisent, l’empêchent de parvenir à son développement
humain intégral.
Nous, les femmes de la Marche mondiale, sommes les héritières de toutes ces femmes qui partout à travers le monde et depuis des décennies, des siècles mêmes ont lutté pour l’accès à l’éducation, pour le droit de vote, contre le viol, les agressions sexuelles, les violences domestiques, pour la maîtrise de leur corps et de leur sexualité, pour l’égalité et l’équité salariale, pour une participation égalitaire en politique, pour l’accès à l’eau et la terre, la reconnaissance de leurs droits fondamentaux, etc. Nous voulons bâtir sur ces luttes car rien n’est jamais définitivement acquis pour les femmes. Nous refusons que de nouvelles générations de femmes soient sacrifiées à ces courants de pensée et à ces forces idéologiques, économiques, culturelles, religieuses qui menacent constamment les droits des femmes. Lors de Beijing+5, nous avons été plusieurs à craindre le pire devant le déploiement des mouvements intégristes et fondamentalistes acharnés à remettre en cause nos acquis fondamentaux; tout comme nous avons été nombreuses à manifester notre colère devant le refus de prendre en compte les effets négatifs du néolibéralisme sur les femmes.
Nous, les femmes de la Marche mondiale, affirmons qu’il ne
saurait y avoir d’avenir possible pour l’humanité sans respect de
l’intégrité physique et mentale des femmes, sans égalité entre les
femmes et les hommes, sans partage équitable de la richesse collective.
L’atteinte de cet objectif est une tâche urgente qui ne saurait
souffrir aucun délai.
Nous, les femmes de la Marche mondiale avons choisi l’ONU, le lieu du politique au niveau international, pour faire culminer nos activités et présenter nos revendications parce que toute notre démarche de mobilisation vise à réaffirmer l’indiscutable priorité du politique sur l’économique, à réclamer le renouvellement en profondeur et la démocratisation de l’ordre économique mondial, à ce moment précis de l’histoire où les marchés financiers, fonctionnant sans loi, ni imputabilité citoyenne, transforment le monde en un gigantesque supermarché pour bien nantis seulement et livrent à l’humanité une véritable guerre avec ses éclopé-es, ses exclu-es, ses réfugié-es, ses mort-es. A travers vous, Monsieur le Secrétaire général, c’est donc à ceux - majoritaires- et à celles - encore beaucoup trop minoritaires - qui assument le pouvoir politique que nous nous adressons.
Nous, les femmes de la Marche mondiale, sommes conscientes
que l’ONU s’est déjà engagée plusieurs fois en paroles et en
déclarations solennelles...à éliminer la pauvreté et les violences
faites aux femmes. Mais c’est le rachitisme de sa volonté politique, le
manque de moyens et de politiques concrètes pour passer à l’action qui
nous révolte ! De concert avec nombre de mouvements sociaux,
d’organisations non gouvernementales, de syndicats, d’associations,
nous sommes déterminées à faire en sorte que les promesses, les
engagements, les déclarations de l’ONU deviennent des
réalités...maintenant ! Nous voulons faire du XXIe siècle celui du
plein exercice des droits humains fondamentaux : droits civils et
politiques, droits économiques, sociaux et culturels, droits
spécifiques des femmes qui sont des droits humains fondamentaux) et
celui du partage de la richesse collective de l’humanité.
Nous, les femmes
de la Marche mondiale, sommes profondément convaincues que si l’ONU est
une institution à critiquer et à réformer, elle représente surtout un
espoir à cultiver pour le XXIe siècle. Nous prenons acte de la
déclaration finale du Sommet du Millénaire où les chefs d’État se sont
engagés solennellement à
faire de l’Organisation des Nations Unies un instrument plus efficace
aux fins de la réalisation des objectifs suivants: la lutte pour le
développement de tous les peuples du monde, la lutte conte la pauvreté
, l’ignorance et la maladie, la lutte contre l’injustice, la lutte
contre la violence, la terreur et la criminalité et la lutte contre la
dégradation et la destruction de notre planète. C’est
parce que nous prenons au sérieux cet engagement que nous entendons
formuler nos inquiétudes, nos critiques et nos propositions au
Secrétaire général de l’ONU
Nous, les femmes de la Marche mondiale affirmons que toutes
ces luttes ne sauraient se réaliser sans l’égalité entre les femmes et
les hommes. L’égalité est à la fois une fin et un moyen de mener à bien
les objectifs de paix, de justice et de développement que nous
poursuivons. L’ONU doit en prendre la direction. Des millions de
personnes à travers le monde, et les femmes en tout premier, savent que
seule une communauté politique internationale forte, déterminée et
solidaire pourra venir à bout de la pauvreté et des violences faites
aux femmes.
Qui sommes-nous ?
La Marche mondiale des femmes est une initiative née de la
Fédération des femmes du Québec mais elle est très vite devenue la
« propriété collective » de millions de femmes à travers le
monde. Depuis le 8 mars dernier, des femmes des cinq continents ont
commencé à fouler la terre de leurs villages, quartiers, régions, pays
pour en finir une fois pour toute avec la pauvreté et toutes les formes
de violence envers les femmes.
Voyez par vous-même, M. Annan, la puissance de cette mobilisation
! Au Maroc, 500,000 personnes défilent à Rabat en scandant Nous partageons la terre, partageons ses biens. En
Inde, on choisit la lumière comme symbole des luttes des femmes contre
la pauvreté et la violence et à Gujarat, les femmes traversent un pont,
bougies à la main, pour signifier le rôle de « constructrices de
ponts » assumé par les femmes dans leur société souvent très
polarisée et fracturée. En Haïti, la pétition en appui aux
revendications de la Marche est conçue sur un carton de même grandeur
que celui utilisé dans les bidonvilles pour construire des maisonnettes
et qui sert aussi de lit aux personnes pauvres des milieux urbains et
ruraux. En République démocratique du Congo, le 8 mars est décrété journée sans femmes et
commémoré sous le signe du deuil et de la méditation. Les femmes sont
restées à la maison pour pleurer leurs soeurs, frères, maris et enfants
morts pendant les guerres ainsi que leurs droits bafoués. À Genève,
femmes européennes de l’Est et de l’Ouest marchent ensemble devant
l’OMC rebaptisée Organisation mondiale criminelle. Au Mozambique,
malgré les inondations, plus de 3000 femmes participent aux diverses
activités du lancement de la Marche. Au Brésil, à Sao Paulo les femmes
manifestent devant la Bourse pour dénoncer les inégalités et exclusions
créées par le modèle de développement actuel. Elles portent des
banderoles et des ballons de couleur lilas et frappent sur des
casseroles. Les femmes autochtones des Amériques réunies à
Panama, adoptent une déclaration pour faire entendre leur voix et leurs
demandes spécifiques. Aux États-Unis, des militantes manifestent devant
le bureau d’un sénateur qui empêche la ratification de la convention de
l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes. En Australie une vingtaine de lancements ont
lieu dans tout le pays.
Et nous pourrions multiplier à l’infini les initiatives générées par la Marche mondiale des femmes, activités de création, de sensibilisation, d’éducation, de mobilisation.
Nous sommes des femmes de la base, de toutes origines, de toutes
nationalités, de toutes religions ou croyances, de toutes orientations
politique, culturelle, sexuelle, etc., de toutes conditions. Nous
sommes un mouvement pluriel composé de femmes aux sensibilités
différentes, aux expériences variées, aux approches diversifiées mais
porteuses d’un projet commun. Nous formons la Marche mondiale des
femmes en l’an 2000, un mouvement autonome de femmes constitué de
groupes de femmes, de syndicats et de mouvements n’ayant pas de lien
structurel avec les gouvernements. Au moment où nous nous rencontrons,
plus de 5500 groupes dans 157 pays et territoires participent à cette
action à la fois dans leur pays, dans leur région et au niveau
international. Les millions de signatures que nous déposons dans cette
enceinte témoignent de l’appui solide recueilli par les femmes aux
revendications de la Marche.
Cette réponse est le signe que les problèmes vécus par les femmes
transcendent toutes les divisions géographiques, culturelles,
politiques, économiques. Parce que la pauvreté n’a pas de
frontière et la violence faite aux femmes, pas de classe sociale, parce
que pauvreté et violence se retrouvent au Nord comme au Sud, à l’Est
comme à l’Ouest, les femmes africaines, latino-américaines, asiatiques,
nord-américaines, européennes de l’Est comme de l’Ouest, femmes du
Moyen-Orient et du monde arabe, femmes de l’Océanie se sont reconnues
dans les revendications les unes des autres formant cette chaîne de
mobilisation autour de notre petite planète.
2000 bonne raisons de marcher ...quand nous regardons le monde avec les yeux des femmes et des petites filles !
Plusieurs se demandent pourquoi les femmes continuent de marcher ! N’ont-elles pas obtenu des gains considérables ? L’assemblée de Beijing+5 ne vient-elle pas de confirmer et même de pousser plus loin les engagements des États et de l’ONU envers les femmes ?
C’est vrai: un travail considérable a été réalisé par nombre d’ONG de femmes de groupes et d’associations féministes depuis la première conférence internationale de Mexico en 1975. Certains États ont dû céder à ces pressions et ont engagé des actions en vue d’éliminer les discriminations à l’encontre des femmes. Les femmes constituent certainement pour l’ONU parmi ses alliées les plus importantes. Ce travail nous a fait réaliser des bonds de géantes plus particulièrement en ce qui a trait au respect des droits fondamentaux des femmes.
C’est vrai aussi: au cours du XXe siècle, les femmes ont opéré une véritable révolution... sans bain de sang: elles ont bouleversé la vie familiale, changé le travail, transformé les relations entre les femmes et les hommes, remis en question les rapports de pouvoir; questionné les rôles de reproduction, gagné en partie le contrôle de leur corps et de leur sexualité, etc.
Et pourtant.... vous le savez Monsieur le Secrétaire général
: la situation des femmes demeure encore extrêmement difficile. Nous
vous demandons de ne jamais cesser, de regarder le monde avec les yeux
des femmes et particulièrement ceux des petites filles. Que voyons-nous
?[1]
Pauvreté: Dans le monde, une personne sur cinq vit avec moins d’un dollar par jour et une sur sept souffre chroniquement de la faim[2]
: l’immense majorité de ces personnes pauvres sont des femmes et des
enfants. Et les femmes sont plus démunies que les hommes pour se
prémunir de la pauvreté ou pour en sortir.
Distribution de la richesse:
les filles et les femmes possèdent moins de 1% des richesses de
la planète; elles fournissent 70% des heures travaillées et ne
reçoivent que 10% des revenus.
Travail: officiellement, 110
million de filles entre 4 et 14 ans travaillent dans le monde et ce
nombre ne tient pas compte du travail domestique; les conditions de
travail des femmes sont presque toujours plus difficiles que celles des
hommes (travail informel, atypique, précaire, sur appel, sous-payés),
inégalités salariales systémiques (les travailleuses gagnent environ
75% du salaire des hommes avec d’immenses disparités entre les pays)
Représentation politique:
sauf très rare exception, la représentation politique des femmes
dans les gouvernements n’est pas proportionnelle à leur nombre dans la
population. On l’a vu au Sommet du Millénaire avec seulement 9 femmes
cheffes de gouvernement ! Les Nations Unies estiment qu’il ne
faudra pas moins de 500 ans pour parvenir à une représentation
égalitaire des hommes et des femmes aux échelons supérieurs du pouvoir
économique. Prostitution: un million d’enfants à travers le monde, en
majorité des filles, sont enrôlés dans l’industrie du sexe chaque
année;
Trafic : 4 millions de femmes et de filles sont vendues par année pour la prostitution, l’esclavage domestique ou le mariage forcé.
Viol:
au niveau mondial une femme sur quatre a été ou sera violée au cours de
son existence, souvent par une homme de son entourage; utilisation
systématique du viol comme arme de guerre dans tous les conflits armés
du XXe siècle et du début du XXIe...
Violences envers les femmes :
la Banque mondiale estime que les violences envers les femmes sont une
cause de décès et d’incapacité chez les femmes en âge de procréer aussi
importante que le cancer et une cause de mauvaise santé plus importante
que les accidents de la route et la malaria combinés ! [3]
Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle: un rapport d'Amnistie internationale[4]
a révélé l'ampleur de la répression (emprisonnement, torture,
lapidation, assassinat, aucune reconnaissance des droits
fondamentaux, etc) envers les personnes, dont des femmes, en
raison de leur orientation sexuelle. Ces exactions constituent une
violation des droits humains fondamentaux.
Éducation: les 2/3 des enfants qui ne vont pas à l’école sont des filles et les 2/3 des analphabètes dans le monde sont des femmes.
Travail domestique:
dès l’âge de 5 ans, dans les pays en développement, les filles
travaillent entre 4 et 16 heures par jour aux tâches domestiques. Et
tout au long de leur vie, les femmes continuent d’assumer seules la
responsabilité quasi exclusive des enfants et des personnes âgées
Production agricole:
les femmes représentent 40% de la main-d’oeuvre agricole mondiale. Mais
elles ne possèdent qu’environ 1% des terres dans le monde. Esclavage:
250,000 filles de moins de 15 ans travaillent comme esclaves
domestiques en Haïti: on les appelle les « restaveks ».
Mutilations
génitales: malgré les efforts et les législations, 2
millions de petites filles sont mutilées chaque année.
Ces situations compromettent le présent des femmes. Et quant aux
petites filles - les femmes de demain : ces discriminations
assombrissent leur avenir, bloquent leur épanouissement, privent la
société de leur potentiel. Vous le savez déjà M. Annan. Mais pourquoi
des générations de femmes sont-elles encore sacrifiées ? Pourquoi l’ONU
ne fait-elle pas davantage, plus vite et de façon plus déterminée ?
Pourquoi seulement les discours mais dans les faits la complaisance
envers les violences et les discriminations faites aux femmes? Pourquoi
encore tant de lenteur et de résistance à reconnaître que la violence
envers les femmes n’est pas n’importe quelle sorte de violence mais
qu’elle s’exerce envers les femmes parce que femmes ? Pourquoi
attendre 2015 pour éradiquer l’extrême pauvreté (les 1,3 à 1,5
milliards de personnes qui vivent avec 1 $US par jour) quand nous en
avons présentement les moyens financiers et techniques ? La seule taxe
Tobin ou le seul investissement de 0,7% des pays industrialisés dans
l’aide publique au développement permettraient d’en venir à
bout...aujourd’hui !!! Et pour les 3 milliards de personnes pauvres qui
survivent à peine avec 2 $US par jour : à quand le tour?
C’est pour renforcer le travail déjà entrepris aux niveaux local, national, régional et international que des millions de femmes ont décidé de prendre la parole...et la route ! Car nous savons que sans rapport de force les acquis sont vite passés au passif des politiques étatiques. Sans mobilisation des femmes, les promesses faites aux femmes risquent de se transformer en déceptions pour les femmes. Au moment où nous nous parlons, chaque promesse non tenue brime leur développement, viole leurs droits fondamentaux et tue des milliers de femmes à travers le monde.
Nous sommes venues vous dire, Monsieur Annan, que le XXIe siècle
doit dès maintenant devenir le siècle de la réalisation immédiate de
tous les engagements, promesses, déclarations...faites aux femmes.
Nous ne voulons plus d’ajustements structurels mais des transformations structurelles
Monsieur le Secrétaire général, la Marche mondiale n’est pas une
parade féminine ! Elle est une action politique, un geste de
citoyenneté de millions de femmes à travers le monde. Elle ne fait pas
que pointer les conséquences mais veut s'attaquer aux causes
structurelles à la source de l'appauvrissement et des violences faites
aux femmes.. La Marche identifie clairement le capitalisme néolibéral
et le patriarcat comme systèmes dominants qui se nourrissent l'un
l'autre et se renforcent mutuellement pour maintenir la très grande
majorité des femmes dans une infériorisation culturelle, une
dévalorisation sociale, une marginalisation économique, une
"invisibilisation" de leur existence et de leur travail, une
marchandisation de leur corps. Nous n’ignorons pas non plus à quel
point les intégrismes, les fondamentalismes, les conservatismes de tout
acabit se lovent dans cette mouvance.
Le système économique dominant a un nom que nous ne devons pas craindre d'identifier - le capitalisme néolibéral- et un visage, inhumain; un système régi par la compétitivité absolue et axé sur la privatisation, la libéralisation, la déréglementation; un système soumis à la seule loi du "tout aux marchés", où la pleine jouissance des droits humains fondamentaux est subordonnée à la liberté économique et qui provoque des exclusions intolérables pour les personnes et dangereuses pour la paix dans le monde et pour l'avenir de la planète.
Le patriarcat quant à lui, ne date pas du XXe siècle, et se perpétue depuis des millénaires selon des intensités variables et des cultures différentes. Il est basé sur la prétention qu'il existerait une infériorité naturelle des femmes en tant qu'êtres humains et sur la hiérarchisation des rôles attribués aux femmes et aux hommes dans nos sociétés. Le patriarcat s'exprime dans tous les domaines de la vie et se manifeste par différents stéréotypes qui conditionnent ou marquent les rapports entre les femmes et les hommes. À l'aube du troisième millénaire, nous vivons encore dans un monde dominé par ce système qui consacre le pouvoir masculin et engendre violences et exclusions.
Ces deux forces façonnent l’architecture de la mondialisation actuelle. Pour les femmes, cette mondialisation n’est pas seulement capitaliste et néolibérale mais sexiste. Elle
affecte les femmes d’une autre manière que les hommes. Sinon pourquoi
l’immense majorité des personnes pauvres de la planète seraient-elles
des femmes ? Pourquoi l’accès au travail des femmes n’a-t-il rien
changé ni dans la division sexuelle du travail ni dans le partage des
responsabilités envers les enfants, ni dans la répartition des
tâches domestiques ? Pourquoi la « croissance »
continue-t-elle de s’appuyer largement sur le travail invisible, non
reconnu et non rémunéré des femmes ? Pourquoi la traite des femmes des
pays pauvres vers les pays riches s’est-elle accrue ? Pourquoi la
prostitution fait-elle partie des stratégies de
« développement » et des moyens de récupérer des devises de
plusieurs gouvernements ?
Vous le reconnaissez vous-même dans la déclaration finale du Sommet du Millénaire Nous
sommes convaincus que le principal défi que nous devons relever
aujourd’hui est de faire en sorte que la mondialisation devienne une
force positive pour l’humanité tout entière. Car si elle offre des
possibilité immense à l’heure actuelle, ses bienfaits sont très
inégalement répartis, de même que les charges qu’elle impose.
Si les bienfaits sont inégalement répartis c’est que le système économique mondial ne vise pas la redistribution des richesses mais leur concentration dans des mains de moins en moins nombreuses. Il ne s'agit donc pas simplement d'aménager les règles du jeu en gardant intact ce même système. Il s'agit de créer de nouvelles règles à partir entre autre des expériences et des alternatives proposées par les femmes et les mouvements sociaux aux plans local, national et international.
Vous comprendrez notre inquiétude et notre colère de voir le
Secrétaire général des Nations Unies mettre de l’avant son Pacte global
avec l’entreprise privée et avaliser la croyance que le marché laissé à
lui-même serait source d’égalité et de progrès pour l’humanité ! Vous
comprendrez notre frustration de voir l’ONU, lors du Sommet de
Copenhague +5, cosigner un rapport avec la Banque mondiale, le Fonds
monétaire international et l’Organisation pour le commerce et le
développement économique qui affirme sa confiance dans le libre échange
et la globalisation tout azimut pour réduire de moitié l’extrême
pauvreté d’ici l’an 2015 ! Vous comprendrez notre scepticisme quand
d’un côté l’Assemblée du millénaire propose fermement d’établir
des partenariats solides avec le secteur privé en vue de promouvoir le
développement et d’éliminer la pauvreté mais de l’autre en est réduite
à simplement « encourager »timidement l’industrie
pharmaceutique à rendre les médicaments essentiels plus largement
disponibles et abordables pour tous ceux qui en ont besoin dans les
pays en développement. !!!
Il y a déjà longtemps, Monsieur Annan, que les marchés
capitalistes et les corporations multinationales ont fait la preuve de
leur capacité à générer les inégalités dans le monde et de leur
incapacité à réduire la pauvreté, en particulier celle des femmes.. Il
y a longtemps que l’économie mondiale souffre de déficit démocratique.
Nous ne pensons pas que l’ONU doit développer un partenariat d’égal à
égal avec l’entreprise privée. Le partenariat premier de l’ONU, c’est
avec les peuples qu’il doit se déployer. Nous pensons que l’ONU doit
développer les moyens d’affirmer son autorité politique et
d’exiger le respect des valeurs et pratiques liées aux droits
humains fondamentaux, droits civils, politiques, économiques, sociaux,
culturels. Agir autrement met à mal le sérieux, la crédibilité et la
légitimité de l’ONU.
Nos revendications[5] ou le monde dans lequel nous voulons vivre
La Marche mondiale vient ajouter le poids de sa mobilisation et de la participation de millions de femmes pour exiger la mise en application immédiate de revendications qui sont capables à elles seules de changer considérablement le sort et la condition des femmes partout à travers le monde. Ces revendications ont ceci d’important qu’elles sont basées sur l’action des États. Nous pensons en effet que des États souverains mais non corrompus, nationaux mais ouverts au pluralisme et à l’immigration, des États démocratiques et participatifs doivent assumer la responsabilité d’élaborer et de mettre en oeuvre ces revendications et d’en répondre devant les citoyennes et les citoyens.
Si les organisations non gouvernementales sont appelées à jouer un
rôle majeur de vigilance entre autre par rapport aux gouvernements, il
n’appartient pas à ce que plusieurs appellent la « société
civile » (qui demeure par ailleurs une réalité floue et
fourre-tout) de se substituer aux États pour assurer l’exercice des
droits humains fondamentaux. De même pour la communauté internationale
des États membres de l’ONU. Plusieurs de nos revendications se
situent dans la suite et le renforcement des décisions prises
lors des grandes conférences récentes de Beijing+5 et Copenhague+5.
Pour éradiquer les violences faites aux femmes
Des États de droit soumis au droit international
Nous nous réjouissons de votre initiative de signatures des pactes et conventions lors du Sommet du Millénaire. Nous nous réjouissons de l’entrée en vigueur tout récente du Protocole optionnel de la Convention sur toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Nous aussi, nous pensons que le monde doit fonctionner à partir du droit international. C’est pourquoi, nous insistons pour exiger la signature et la ratification des conventions et protocoles existants, l’élaboration de nouveaux protocoles qui, seuls, peuvent assurer que les États font ce qu’ils disent qu’ils font, mais surtout l’application dans les faits et au jour le jour de ces instruments internationaux.
- la ratification sans réserve et l’application des conventions et
pactes relatifs aux droits des femmes et des enfants....et
l’harmonisation des lois nationales avec ces différents instruments
internationaux;
- la ratification sans réserve de la Convention sur
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
Vous n’êtes pas sans savoir que cette convention figure
parmi celles qui comportent le plus grand nombre de réserves dont
plusieurs peuvent être considérées comme incompatibles avec l’objet et
les buts généraux de la Convention (...) Le caractère des réserves
formulées à la Convention montre que la communauté internationale est
prête à reconnaître formellement les nombreux problèmes d’inégalités
auxquels sont confrontées les femmes, mais que les États, pris
individuellement ne sont pas prêts à le faire et qu’ils ne sont pas
tenus de modifier leurs pratiques par lesquelles les femmes sont
subordonnées.[6]
- le renforcement de la Convention de 1949 sur la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui par
un mécanisme qui tienne compte des résolutions de l’ONU sur le trafic
des femmes et des enfants et sur les travailleuses migrantes.
- la reconnaissance par tous les États et leur soumission à la juridiction de la Cour criminelle internationale
- un protocole pour l’application du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Des États pro-actifs dans la lutte contre les violences faites aux femmes
Partout à travers le monde, les femmes mobilisées dans la Marche mondiale ont interpellé leurs États : elles exigent qu’ils assument un véritable rôle de leadership dans le combat contre les violences faites aux femmes. Nous demandons au Secrétaire général de soutenir, de stimuler et d’assurer une vigilance constante face aux États-membres de l’ONU en leur rappelant qu’ils doivent :
- condamner tout pouvoir public, religieux, économique ou culturel qui exerce un contrôle sur la vie des femmes et des petites filles et dénoncer les régimes qui ne respectent pas leurs droits fondamentaux ;
- intégrer dans leurs lois et actions le principe selon lequel toutes les formes de violence envers les femmes sont des violations des droits humains fondamentaux injustifiables
par la coutume, la religion, la culture ou le pouvoir politique. Les
États doivent reconnaître aux femmes le droit de disposer de leur vie
et de leur corps et de maîtriser leur fécondité ;
- mettre en œuvre des plans d’action, des programmes, des projets efficaces assortis des ressources financières et de moyens adéquats pour mettre fin aux violences faites aux femmes ;
- accorder le droit d’asile aux femmes victimes de discrimination et de persécutions sexistes et/ou de violences sexuelles.
Des États résolus à contrer les dénis de droits sur la base de l’ orientation sexuelle
Un récent rapport d’Amnesty International [7]
démontre l’ampleur de la répression dont sont victimes les personnes
homosexuelles: criminalisation de l’homosexualité dans plus de la
moitié des pays avec des sanctions telles emprisonnement, torture,
flagellation, lapidation, peine de mort; violation systématique des
droits humains fondamentaux. Sauf la Convention européenne sur la
protection des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, aucune
convention internationale ne leur accorde reconnaissance et protection
de leurs droits humains fondamentaux. Aucune grande Conférence
onusienne- y compris Beijing +5, n’a pu venir à bout des tabous et des
blocages systématiques de certains États sur cette question. Les femmes
discriminées sur la base de leur orientation sexuelle le sont
doublement: comme femme et comme lesbienne. Et l’ampleur de la
répression rend leur défense souvent très difficile et très risquée
pour les groupes de femmes et les organismes de défense de droits. La
Marche mondiale demande donc à l’ONU et à ses États-membres :
- de reconnaître que l’orientation sexuelle ne doit priver personne du plein exercice des droits prévus dans les instruments internationaux ;
- d’accorder le droit d’asile aux personnes victimes de discrimination et de persécution en raison de leur orientation sexuelle.[8]
Des États capables de garantir la paix par
des politiques de désarmement (armes conventionnelles et armes
nucléaires et biologiques) et une ONU capable de mettre un terme à
toute forme d’intervention, d’agression et d’occupation militaire.
Pour en finir avec la pauvreté
Mettre en oeuvre immédiatement les « nouvelles » vieilles propositions...
Monsieur le Secrétaire général, la Marche mondiale est profondément convaincue que des mesures urgentes peuvent être mises en application qui élimineraient l’extrême pauvreté immédiatement. Parmi ces mesures :
- l’élimination de la dette des pays du tiers-monde
- la fin des programmes d’ajustement structurel
- la Taxe Tobin
- l’investissement de 0,7% du PIB des pays industrialisés dans l’aide publique au développement
- la mise en application de la formule 20/20 entre pays donateurs et pays récepteurs de l’aide.
Ce sont de « vieilles » proposition qui n’en finissent
plus d’alimenter la réthorique des rencontres internationales. La
« nouveauté » serait de les appliquer, de les appliquer
en accordant une importance particulière aux femmes puisqu’elles
sont les plus pauvres parmi les pauvres.
Légiférer contre la pauvreté
Si les États sont sérieux dans leur engagement du millénaire à faire du droit au développement une réalité pour tous (et toutes...) et à mettre l’humanité entière à l’abri du besoin,
alors un des gestes à poser serait que chaque État mette en place une
loi-cadre et des stratégies nationales d’élimination de la pauvreté
(voir détail en annexe). Ces stratégies à être épaulées plutôt que
téléguidées de l’extérieur par les institutions financières
internationales selon un modèle néolibéral pur et dur.
Explorer l’idée de mettre en place un Conseil mondial pour la sécurité économique et financière
chargé de redéfinir les règles d’un nouveau système économique mondial
(voir détails en Annexe). La Marche mondiale met de l’avant cette
proposition, parmi d’autres, afin que la communauté politique
internationale cesse de s’en remettre au «tout aux marchés» pour en
attendre - vainement - une mondialisation profitable à tous et à toutes
et un partage solidaire des richesses de l’humanité. Un tel Conseil
permettrait s’assurer la primauté du politique sur l’économique.
Accroître le rôle pro-actif de l’ONU face à la BM, au FMI, à l’OMC
Lors de la rencontre de la Marche mondiale avec les dirigeants de la BM et du FMI: les femmes ont réaffirmé que ces institutions financières ont au moins 2000 bonnes raisons de changer de cap ! Il en est de même pour l’OMC. Nous demandons à l’ONU et à son Secrétaire général d’exiger de ces institutions qui façonnent la mondialisation actuelle qu’elles soient soumises au respect intégral des droits humains fondamentaux et fassent prévaloir sur les profits et la concurrence les valeurs adoptées par l’Assemblée du Millénaire: liberté, égalité, solidarité, tolérance, respect de la nature et partage des responsabilités du développement économique et social. De telles valeurs sont incompatibles avec des projets tels l’Accord multilatéral sur les investissements ou ses clones.
Ce ne sera pas là vaine utopie ou naïveté inconsciente si l’ONU et
son Secrétaire général, épaulés par les mouvements de femmes et
l’ensemble des mouvements sociaux, ONG, syndicats, associations,
organismes de coopération internationale, etc. qui partagent ces
orientations, décident d’y consacrer toutes leurs énergies, leur
ressources, leurs moyens financiers.
Un rôle exemplaire pour l’ONU
Et si l’ONU constituait pour l’ensemble des femmes du monde un
« modèle » à imiter, une source d’inspiration pour leurs
États ? Nous pensons - et nous nous répétons -que l’ONU doit jouer un
rôle exemplaire dans sa détermination à lutter contre la pauvreté et
toutes les violences faites aux femmes ...dans l’action et pas
seulement dans les déclarations. A commencer par la nécessité de
se montrer intraitable face aux exactions de son propre personnel, de
ses propres troupes lors de leurs opérations de maintien de la paix.
Être violée par un soldat -aussi casque bleu fut-il- demeure un crime.
Et aucun membre du personnel de l’ONU ne peut être soustrait de
l’application des droits humains fondamentaux.[9]
Certes des progrès importants ont été réalisés au sein même de l’ONU et de ses principales agences et sous votre leadership en particulier: mais que la route à parcourir reste encore longue ! Qu’est-ce qui empêche le Secrétaire général de soumettre toutes les parties constituantes de l’ONU au principe de l’égalité absolue entre les femmes et les hommes ? Qu’est-ce qui empêche l’ONU d’instaurer la parité au niveau salarial, de pratiquer le 50-50 au niveau des postes de direction et dans tout le système onusien ? Pourquoi l’ONU ne montrerait-elle pas à la face de l’humanité qu’il est possible maintenant de réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes ?
Qu’est-ce qui empêche l’ONU de se montrer non seulement vigilante
mais intraitable quant au respect des décisions prises ? Car on peut
avoir des objectifs chiffrés et des échéances mais si l’action ne se
fait pas, comment éviter la perte de confiance des peuples dans l’ONU,
comment croire à la volonté politique des États de faire respecter les
engagements pris ? Comment des agences aussi vitales pour les
femmes que UNIFEM, UNICEF, PNUD peuvent-elles remplir adéquatement leur
mission sans injection substantielle de ressources humaines et
financières ? Comment continuer de tolérer que les États-Unis en
particulier se soustraient à leurs obligations financières envers
l’ONU, contribuant ainsi à son affaiblissement ?
Conclusion
Monsieur Annan, nous nous adressons à vous en tant qu’homme également: tant que les leaders politiques - qui sont encore massivement des hommes- et les leaders d’opinion -aussi massivement des hommes- ne mettront pas tout leur poids personnel à se démarquer des discriminations envers les femmes, ces discriminations demeureront des « problèmes de femmes » alors qu’ils sont des problèmes d’hommes et de femmes, des problèmes de sociétés. C’est aussi comme homme, M. Annan, que nous vous demandons d’intervenir chaque fois qu’il vous sera possible de le faire, d’utiliser toutes les tribunes pour convaincre l’opinion publique que les violences contre les femmes sont intolérables.
Nous vous demandons d’intervenir régulièrement auprès de la
communauté internationale pour rappeler aux chefs d’État que les femmes
exigent l’égalité maintenant et non pas dans cinq cent ans: c’est
l’héritage que nous voulons laisser à nos filles.
Nous vous demandons de travailler sans relâche [10] avec
ces femmes sans voix et sans droit qui, dans plusieurs parties du
monde, sont obligées de se taire et d'accepter; ces femmes soumises à
de multiples formes de discrimination et de violence avec des espaces
de liberté confisqués; avec ces femmes qui résistent et qui
construisent, depuis longtemps, un autre monde sans violence et sans
pauvreté.
Monsieur le secrétaire général, l’ONU devrait être un phare pour ces petites filles nées et à naître et qui sont les héritières de nos combats et de nos rêves.
Et n’en doutez pas, les femmes continueront de marcher
ANNEXE
REVENDICATIONS DE LA MARCHE MONDIALE
DES FEMMES EN L’AN 200
(Résumé)
POUR ELIMINER LA PAUVRETE
P-1 La mise en place par tous les États d’une loi-cadre et de stratégies visant l’élimination de la pauvreté. Une loi cadre est une loi « parapluie », de portée générale, qui donne une orientation globale, affirme des principes et établit des objectifs. Cette loi-cadre doit être prise en compte pour inspirer d’autres lois qu’un gouvernement voudra promulguer sur le même sujet, en l’occurrence l’élimination de la pauvreté. L’appellation « loi-cadre » peut varier selon les pays. En Amérique latine par exemple, on utilise « agenda national ».
Cette loi-cadre doit inclure des mesures pour
garantir l’autonomie économique et sociale des femmes à travers
l’exercice de leurs droits. Elle doit prévoir l’adoption de
législations, de programmes, de plans d’action, de projets nationaux
propres à assurer aux femmes, sans discrimination, les droits et
l’accès :
Aux ressources de base
À l’eau potable;
À la production et la distribution de la nourriture pour assurer une sécurité alimentaire à la population;
Au logement décent;
Aux services de santé de première ligne et de santé reproductive;
À la protection sociale;
À la sécurité du revenu tout au long de la vie.
À la culture
À la fin du processus d’homogénéisation des cultures.
À la citoyennetÉ
À la reconnaissance de la citoyenneté par l’accès aux documents officiels (carte d’identité);
À la participation égale des femmes aux instances politiques.
Aux ressources naturelles et économiques
À la propriété de biens familiaux et à la répartition équitable de l’héritage;
Au crédit.
Aux ressources en éducation
À l’alphabétisation;
À la formation professionnelle;
Aux connaissances scientifiques et technologiques.
À l’égalité au travail
À l’équité et à l’égalité salariales aux plans national et international;
Au salaire minimum;
À la protection statutaire pour les travailleuses à la maison et dans les secteurs informels de l’économie;
À la syndicalisation et à la liberté d’association;
À des postes de décision;
Au respect des normes du travail (dans tous les
lieux de travail y compris les zones franches) telles qu’adoptées par
le Bureau International du Travail.
À l’égalité dans le partage des tâches
Les États doivent promouvoir, par des mesures incitatives, le partage des responsabilités familiales (éducation et soin des enfants, tâches domestiques) et adopter des mesures concrètes de soutien aux familles telles que des garderies adaptées aux horaires de travail des parents, des cuisines communautaires, des programmes de soutien aux devoirs et leçons, etc.
Les États doivent donc prendre toutes les mesures
nécessaires pour mettre un terme aux valeurs patriarcales et
sensibiliser la société à l’importance de démocratiser les structures
familiales.
Les femmes revendiquent aussi que cesse la marchandisation de leur corps via les médias pour répondre aux besoins du marché. Elles insistent enfin pour que les États et les organisations internationales soient tenus de prendre des mesures pour contrer et prévenir la corruption.
Tous les actes, toutes les lois, tous les règlements, toutes les positions des États nationaux seront évalués à la lumière d’indicateurs comme :
• l’Indicateur de la pauvreté humaine (PH), proposé dans le Rapport mondial sur le développement humain de 1997;
• l’Indice de développement humain, proposé par le Programme des Nations Unies pour le développement;
• l’Indicateur sexospécifique de développement humain (incluant un indicateur de représentation des femmes dans les postes de pouvoir), proposé dans le Rapport mondial sur le développement humain de 1995;
•
la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail
concernant les droits des peuples autochtones.
P-2 L'application urgente de mesures comme :
La taxe Tobin, les revenus de cette taxe seront versés dans un fonds spécial :
• dédié au développement social;
• géré démocratiquement par l’ensemble de la communauté internationale;
• selon des critères de respect des droits humains fondamentaux et de démocratie;
• avec une représentation paritaire des femmes et des hommes;
• auquel les femmes auront un accès prioritaire.
L’investissement de 0,7 % du produit national brut (PNB) des pays riches dans l'aide aux pays en voie de développement ;
Le financement adéquat et la démocratisation des programmes
des Nations Unies essentiels à la défense des droits fondamentaux des
femmes et des enfants tels UNIFEM (Programme pour les femmes), le PNUD
(Programme pour le développement) et UNICEF (Programme pour les
enfants) ;
La fin des programmes d'ajustements structurels
La fin des compressions et coupures dans les budgets sociaux et les services publics
Le rejet du projet d'Accord multilatéral sur les investissements (AMI).
P-3 L'annulation de la dette de tous les pays du tiers-monde en tenant compte des principes de responsabilité, de transparence de l'information et d'imputabilité.
Nous exigeons l'annulation immédiate de la dette des pays les plus pauvres de la planète, en appui aux objectifs de la campagne «Jubilé 2000».
À plus long terme, nous demandons l'annulation de la
dette de tous les pays du tiers-monde et la mise en place d'un
mécanisme de surveillance de la radiation de la dette qui veillera à ce
que l'argent dégagé serve à l'élimination de la pauvreté et au
bien-être de la population la plus affectée par les programmes
d'ajustements structurels, dont les femmes et les enfants
(particulièrement les petites filles) constituent la majorité.
P- 4 L'application de la formule 20/20 entre pays donateurs et pays récepteurs de l'aide internationale.
Ainsi, 20 % de l'argent versé par les pays donateurs doit être dédié au développement social et 20 % des dépenses de l'État qui reçoit des dons doit être consacré aux programmes sociaux.
P-5 Une organisation politique mondiale, non monolithique, ayant autorité sur l'économie, avec une représentativité égalitaire et démocratique entre tous les pays de la terre (s'assurer d'une parité entre pays pauvres et pays riches) et avec une représentativité paritaire entre les femmes et les hommes.
Au niveau économique
La Marche mondiale entend contribuer à mettre en
place un système économique mondial juste, participatif et solidaire.
Elle met donc de l’avant une revendication plus structurelle, un
Conseil pour la sécurité économique et financière chargé :
- de redéfinir les règles d’un nouveau système financier mondial axé sur une répartition juste et équitable des richesses de la planète, sur la justice sociale et l’amélioration du bien-être de la population mondiale, en particulier pour les femmes qui en constituent plus de la moitié;
- d’exercer un contrôle politique des marchés financiers;
- de les «désarmer», les empêchant ainsi de mettre à mal les sociétés et de créer systématiquement de l’instabilité, de l’insécurité et de l’inégalité;
- d’assurer une véritable régulation et une surveillance des organisations à vocation économique, financière et commerciale;
d’exercer un contrôle démocratique sur les échanges commerciaux ou, en d’autres termes, d’appliquer la « tolérance zéro » envers la criminalisation de l’économie.
La composition de ce Conseil n’est certes pas
arrêtée et doit faire l’objet d’un débat au niveau international. Mais
la Marche a tenu à indiquer quelques grandes balises incontournables :
ainsi, la composition du Conseil doit inclure des représentant-e-s de
la société civile (des ONG, des syndicats, etc.), assurer la parité
hommes-femmes et la parité entre pays du Nord et pays du Sud.
Parmi les conditions de réalisation, la Marche revendique immédiatement :
• l’élimination de tous les paradis fiscaux (ils sont au nombre d’environ une quarantaine dont Gibraltar, les Iles Caïmans, le Liechtenstein, etc.) dont l’existence même constitue une forme de vol légalisé en permettant à des financiers, des entreprises, des dirigeants politiques, etc. de cacher « leur » argent et de le soustraire ainsi aux taxes, lois, réglementations des États;
• la fin du secret bancaire, pratique anti-démocratique qui constitue également une autre forme de vol légalisé;
• la redistribution de la richesse actuellement monopolisée par les sept pays industrialisés les plus riches.
Au niveau juridique
La Marche mondiale considère l’élimination de la pauvreté non pas
simplement comme un objectif à atteindre mais comme un droit à mettre
en application immédiatement. D’où la revendication d’un protocole pour l’application du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
P-6 Que soient levés les
embargos et les blocus décrétés par les grandes puissances à l'égard de
plusieurs pays et qui affectent principalement les femmes et les
enfants.
Réaffirmer notre engagement pour la paix et la protection du fonctionnement démocratique et autonome des États-nations.
POUR ELIMINER LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
V-1 Que
les gouvernements qui se réclament des droits humains condamnent tout
pouvoir politique, religieux, économique ou culturel qui exerce un
contrôle sur la vie des femmes et des fillettes et dénoncent les
régimes qui ne respectent pas leurs droits fondamentaux.
V-2 Que
les États reconnaissent dans leurs lois et actions que toutes les
formes de violence à l'égard des femmes sont des violations des droits
humains fondamentaux et ne peuvent être justifiées par aucune coutume,
religion, pratique culturelle ou pouvoir politique. Ainsi, les États
doivent reconnaître aux femmes le droit de disposer de leur vie et de
leur corps et de maîtriser leur fécondité.
V-3 Que les États mettent en œuvre des plans d'action, des programmes et des projets efficaces assortis des ressources financières et des moyens adéquats pour mettre fin aux violences faites aux femmes.
Ces plans d'action doivent comprendre notamment les
éléments suivants : prévention, sensibilisation du public, répression,
« traitement » des agresseurs, recherches et statistiques sur
les violences faites aux femmes, prise en charge et protection des
victimes, lutte contre la pornographie, le proxénétisme et les
agressions sexuelles dont les viols contre les enfants, éducation non
sexiste, accès facilité à la procédure pénale, formation des juges et
policiers.
V-4 Que
l'ONU fasse de véritables pressions pour que tous les États ratifient
sans réserve et appliquent les conventions et les pactes relatifs aux
droits des femmes et des enfants notamment, le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des
femmes, la Convention sur les droits de l'enfant, la Convention
internationale pour l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale et la Convention sur la protection des droits de
tous les travailleurs migrants.
Que
les États harmonisent leurs lois nationales avec ces différents
instruments internationaux en plus de la Déclaration universelle des
droits de l'Homme, la Déclaration sur l'élimination de la violence à
l'égard des femmes, les Déclarations du Caire et de Vienne, la
Déclaration et le Programme d'action de Beijing.
V-5 Que soient adoptés dans les plus brefs délais des protocoles et des mécanismes de mise en œuvre :
- à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ;
- à la Convention sur les droits de l'enfant.
Ces protocoles permettront aux personnes et aux
groupes de porter plainte contre un État. Ils constitueront des moyens
de pression à l'échelle internationale pour obliger les États à mettre
en œuvre les droits énoncés dans ces pactes et conventions. Des
sanctions véritables à l'encontre des États récalcitrants devront être
prévues.
V-6
Que la Convention de 1949 pour la répression et l'abolition de la
traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution
d'autrui soit assortie d’un mécanisme d’application qui tienne compte
des documents récents dont les deux résolutions de l'assemblée générale
de l'ONU (1996) concernant le trafic des femmes et des fillettes et la
violence à l'égard des femmes migrantes.
V-7 Que
les États reconnaissent la juridiction de la Cour criminelle
internationale et souscrivent aux dispositions selon lesquelles
notamment les viols et les agressions sexuelles constituent des crimes
de guerre et des crimes contre l'humanité.
V-8 Que tous les États mettent en œuvre des politiques de désarmement autant en ce qui a trait aux armes classiques qu'aux armes nucléaires et biologiques. Que tous les pays ratifient la Convention sur les mines anti-personnelles.
Que l’ONU mette un terme à toutes formes
d’interventions, agressions ou occupations militaires, assure le droit
des personnes réfugiées de retourner dans leur pays d’origine et fasse
pression sur les gouvernements pour faire respecter les droits humains
et résoudre les conflits.
V-9 Que
soit adoptée dans les plus brefs délais la possibilité du droit d'asile
pour les femmes victimes de discrimination et de persécutions sexistes
et/ou de violences sexuelles.
Les deux revendications suivantes ont reçu l'appui d'une majorité des femmes présentes dans la mesure où il a été proposé qu'elles fassent l'objet d'une adoption par pays. Certaines déléguées n'étaient pas en mesure de s'engager à les défendre publiquement dans leurs pays. Ces revendications demeurent partie intégrante du projet de la Marche mondiale des femmes en l'an 2000. Au cours des prochains mois, les noms des pays seront ajoutés.
V- 10 Que
l'ONU et les États de la communauté internationale reconnaissent
formellement, au nom de l'égalité de toutes les personnes, que
l'orientation sexuelle ne doit priver personne du plein exercice des
droits prévus dans les instruments internationaux que sont : la
Déclaration universelle des droits de l'Homme, le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention
internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination à
l'égard des femmes.
V-11
Que soit adoptée dans les plus brefs délais la possibilité du droit
d'asile pour les personnes victimes de discrimination et de persécution
en raison de leur orientation sexuelle.
SEAGER, Joni (1998) Atlas des femmes dans le monde, Editon Autrement, Paris, 1998 et TURENNE, Martine « La planète des femmes ne tourne pas rond », Revue Châtelaine, Juin 1999 à .partir du rapport de Naomi Neft et Ann D. Levine Where Women Stand, An International Report on the Status of Women in 140 Countries; film de Marquise Lepage Des marelles et des petites filles, produit par Monique Simard, Québec.
[2] ONU, OCDE, FMI, BM (2000) Un monde meilleur pour tous.
[3] HEYZER, Noeleen (2000) Ending the Epidemic of Violence Against Women, Third World Network Features, IGC Internet.
[4] Amnistie Internationale (1998 ?) Briser le silence: violations des droits de l’Homme liées à l’orientation sexuelle
[5] Texte complet des revendications en Annexe
[6] BENNINGER-BUDEL, C., LACROIX, A-L. (1999) Violence contre les femmes: un rapport, Organisation mondiale contre la torture, Genève, p 44
[7] Amnisty international section française (1998) Briser le silence Violation des droits de l’Homme liées à l’orientation sexuelle. Adaptation de la version anglaise de juillet 1997 de la section britannique d’Amnesty International.
[8] On trouvera, sur ce site web, la liste des groupes, des pays et des coordinations nationales qui ont appuyé ces revendications de manière spécifique.
[9] Voir en particulier: Anna Lithander (2000) Engendering the Peace Process: a Gender Approach to Dayton and beyond, Kvinna Till Kvinna Foundation, Suède; Cris Corren (2000) Gender Audit of Reconstruction Programs in South East Europe, Urgent Action Fund and the Women’s Commission for Refugee Women and Children, New-York and San Francisco, USA.
[10] Marche mondiale des femmes 2000 Pas à pas pour changer le monde: mosaïque en hommage aux luttes des femmes du monde.
Last modified 2006-04-11 03:09 PM
This item is available in
Français, English